Soumis par Pierre le 31 octobre, 2015 - 22:00.
C'est avec une bonne dose d'humilité que Charles Aznavour évoquait l'effort de mettre au monde une chanson par le titre Pour essayer de faire une chanson, brillante métaphore filée mise en scène en trois couplets et quatre personnages, menée de main de maître de la première à la dernière ligne, en n'omettant aucune des étapes qu'implique créer une chanson. On ne peut que s'incliner devant la grâce d'un grand ciseleur de lignes comme M. Aznavour qui accouche, selon lui, d' [une oeuvrette de rien], mais qui en illustre finement les rouages internes invisibles aux yeux des profanes.
Du policier qui [fouille / cherche / cerne / questionne l'idée], au souteneur qui [frappe / effraie / bat (le tempo) / pour faire chanter (une mélodie)], en passant par le procureur [tenace et implacable] et l'avocat qui [met tout son art dans sa plaidoirie], que voilà un magistral making-of d'une chanson, un « essai » concluant en vingt-quatre lignes de onze pieds et de facture rythmique très carrée, d'une construction technique, symétrique et mise en musique impeccables. De plus, l'amour comme point d'atterrissage qu'on ne voit pas forcément venir au début est une conclusion tout à fait logique et crédible émotionnellement.
M. Aznavour démontre une compréhension organique de la création d'une chanson, et il semble clair dans son esprit que l'ultime destin d'un texte et d'une mélodie réside à ce que les deux soient unis [à vie / pour essayer de faire une chanson]. Du grand art.
Charles Aznavour avait-il un plan précis en tête au moment de pondre la chanson, ou n'y a-t-il eu ici qu'un formidable premier jet inspiré pour communiquer un moment de grâce? Les chances sont élevées pour que rien n'ait été laissé au hasard et que M. Aznavour ait longuement mûri son propos.
Est-il possible qu'il se soit questionné à l'avance sur des points de création précis, qu'il en ait identifié certains, et qu'il ait structuré son texte avant même de le coucher par écrit? Qu'il y aurait des personnages pour donner chair à des gestes sinon abstraits? Possible qu'il ait anticipé la structure musicale idéale, quelle serait sa première ligne, où irait l'aboutissement émotionnel, et ainsi de suite? Possible, voire fort probable.
À tout le moins, même si ce texte était le fruit d'un moment de grâce, un travail de réécriture s'est certainement imposé. Qu'importe, l'une ou l'autre de ces approches requiert une fine planification et un soucis du développement qui démontre la profondeur du métier de l'auteur. Mais je miserais davantage sur la possibilité que M. Aznavour ait finement planifié son coup, de façon consciente en se posant certaines questions cruciales que son métier lui a enseigné. Quelles sont ces questions?
Je vous propose de m'accompagner dans les méandres de l'écriture chansonnière afin d'en identifier les composantes, les "ingrédients de base" tels que définis par Mme Sheila Davis dans son livre référence The Craft of Lyric Writing.1
La démarche d'enseignement de la chanson que j'ai développé sur 25 ans se veut une adaptation libre du livre de Mme Davis, doublé de ma propre expérience d'auteur-compositeur-interprète, en plus des multiples études, lectures et ateliers animés à ce propos au fil des ans.
Avant de poursuivre, je pose une question : à quoi sert un texte de chanson, et a-t-il encore seulement une importance pour les auditeurs à notre époque?
1: Sheila Davis, The Craft of Lyric Writing, Writer's Digest, 1985
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Soumis par Pierre le 31 octobre, 2015 - 22:38.
Les cent dernières années auront vu défiler les géants de la chanson populaire francophone: Trenet, Leclerc, Brassens, Ferré, Barbara, Aznavour, Vigneault, Ferland, Gainsbourg, Léveillé, Brel, Charlebois, Cabrel, Bashung, Boulet et Plume, en passant par Murat, Fortin et Stromae. Difficile de dissocier de la profondeur d'un texte, sa qualité; ceux-ci auront placé la barre bien haut. Mais le texte est-il toujours au cœur de la réussite d'un morceau?
Posséder une certaine connaissance des rudiments d'une chanson vaut mieux que l'ignorance de ceux-ci, on se comprend. Meilleures sont les chances de prendre les décisions les plus satisfaisantes artistiquement parlant, ne serait-ce que de savoir ce dont vous ne voulez pas. La chanson est une oeuvre orale et virale, qui s'attrape par l'oreille. En percer les codes, dont celui du texte, n'est pas sans intérêt.
Toutefois... « Quand on en vient à se demander si les paroles des chansons sont importantes ou pas, y'a un problème... » répondait une internaute à la question posée par un blogue spécialisé (2):
« Les textes de chansons : importants ou pas? » Cette prise de position résume bien un préjugé répandu en faveur de textes signifiants, d'une parole porteuse de sens. Le sens, l'échange d'informations est l'élément primordial pour certains, et la réduction du sens, ou à tout le moins une certaine trivialité peut être reçu péjorativement. Une chanson doit dire quelque chose.
Sur le même blogue, le commentaire suivant résume bien une autre interprétation du bon texte de chanson: « Un texte est bon dans la mesure où il sert bien la musique. En chanson, les deux doivent se compléter. Si un texte niais sert bien une mélodie et l'esprit de la chanson (comme le dernier Katerine par exemple), (3) la fonction qu'il remplit atteint alors son but et le texte niais en question est un bon texte. Alors je dirais que oui le texte est important dans la mesure où il porte la mélodie et que c'est par lui que la voix de l'interprète se fait entendre. Si le tout est organique et cohérent, bref que la sauce pogne, on a là un "bon" texte aussi "mauvais" soit-il... »
J'adhère aux deux visions; comme auteur, je pars du principe que j'écris « pour les autres », et je ne saurais diminuer l'importance de l'acte que je pose à ce moment, concernant ce que j'ai à dire. Évidemment, j'écris pour moi, mais je ne perd pas de vue que je communique à d'autres.
Cela fait partie de l'expérience de la musique populaire. La profondeur du texte n'est pas forcément garante du plaisir ou de la réussite d'une chanson, tout dépendant de l'ouverture de nos oreilles et de notre esprit, ainsi que de nos attentes musicales au départ.
Stéphane Venne (4) a fait la démonstration que l'art de faire une chanson est pratiquement indémodable. Il reste que si on a entre vingt et soixante lignes à mettre en musique, aussi bien en tirer tout le profit possible.
2- C'était sur le (défunt) site de Bande à part.fm.
3 - L'auteur du commentaire fait référence à La banane de Philippe Katerine.
4 - Stéphane Venne, Le frisson d'une chanson, Stanké, 2006
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Soumis par Pierre le 31 octobre, 2015 - 22:55.
Le but d'un livre intitulé « Les ingrédients d'une chanson » - sans vouloir juger de la « profondeur » du propos – est de présenter sous la forme d'une grille d'interprétation des balises claires, souples, identifiables, organiques et techniques tant pour apprendre à décoder la structure d'un texte et à lire dans ses rouages et entre ses lignes, que pour acquérir ou bonifier une méthode de travail pour celles et ceux qui souhaitent en écrire, et donner vie à des personnages et à des émotions crédibles dans "l'ici et maintenant" d'une chanson.
Bref, ceci est un manuel de technique de rédaction chansonnière doublé d'un divertissement intellectuel et ludique.
L'atelier des « Ingrédients de base d'une chanson », à l'origine un cours de 30 heures que j'ai mis sur pied pour le Service des activités culturelles (S.A.C.) de l'Université de Montréal en 1989, s'est rapidement transformé en un atelier théorique intensif de 2 jours, abordant les règles générales et musicales gouvernant le thème d'une chanson, son titre, son amorce, son développement narratif et la mise en musique du texte, avec une trentaine de chansons d'artistes établis en écoute. Cet ouvrage se veut une mise en page étoffée de cet atelier, avec davantage d'exemples de chansons soumis à votre attention. Grâce à Internet, il devient aisé pour le lecteur de faire la recherche et l'écoute des titres proposés dans cet essai. C'est la démarche que je vous invite à faire de votre côté afin de profiter pleinement du contenu de ce livre.
Je vous propose des pistes pour mettre vos idées en place rapidement, pour favoriser votre inspiration et dissiper des interrogations qui se posent à bien des auteurs et autrices en herbe. Et même si le désir d'écrire ne vous habite pas, ces balises vous aideront certainement à écouter, à apprécier et goûter différemment et plus profondément vos chansons préférées.
Au fond je souhaite vous amener, sans prétention, en croisière pour un voyage divertissant, dans une sorte de chasse au trésor de la chanson populaire francophone et anglophone de l'après-guerre. J'espère vous faire redécouvrir sous un nouvel angle des morceaux que vous connaissez déjà, ou encore faire la découverte de perles méconnues, ou tombées dans un oubli relatif.
Je ne juge pas de la qualité d'une chanson uniquement selon son succès commercial - ce qui reviendrait à définir ce qu'est un hit - bien que ce critère ne compte pas pour des prunes non plus. Je ne suis pas à l'affût du dernier succès Top 40. Pour les besoins de cette méthode de travail, je m'intéresse à la chanson pop accrocheuse, solide, mémorable et autant que possible indémodable. Celle qui passe le test des années. Parce que ce sont elles, les vraies chansons nourrissantes, tant pour les créateurs et l'industrie que pour le public. C'est l'approche que je préconise.
Ce qui m'intéresse, c'est plonger dans le songwriting afin d'en dégager des balises juste assez contraignantes pour ne pas oublier que la chanson est, justement, un art de contraintes, et juste assez souples pour être au service de la chanson en outillant le créateur. Vous me suivez? Allons-y.
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Soumis par Pierre le 18 décembre, 2015 - 15:14.
Qu'est-ce qu'une chanson?
Offrir la moitié de son coeur en cent trente secondes / Ça se dit écrire une chanson - Jean-Pierre Ferland 1.1
Le Petit Robert donne de la chanson la définition suivante : « Pièce de vers de ton populaire, généralement divisée en couplets et refrain et qui se chante sur un air. »
Le philosophe Jean-Jacques Rousseau y va d'une perception joliment tournée, pittoresque et qui rappelle les racines artisanales et humbles de l'art chansonnier (1.2) :
« Espèce de petit poème lyrique fort court, qui roule ordinairement sur des sujets agréables, auquel on ajoute un air pour être chanté dans des occasions familières, comme à table, avec ses amis, avec sa maîtresse, et même seul, pour éloigner, quelques instants, l’ennui si l’on est riche, et pour supporter plus doucement la misère et le travail, si l’on est pauvre. (...) »
Pensons aux chants d'esclaves dans les champs de coton américains du XIXè siècle, et à leurs litanies servant à engourdir leur effort de travail à la chaîne, qui ont donné naissance au gospel et au blues. Ou encore aux fois où des paroles nous surgissent spontanément à l'esprit durant un moment bien précis, celui-ci fût-il pénible ou transcendant. Combien de gens dans le pétrin n'ont-ils pas fredonné spontanément au moins une fois dans leur vie I Will Survive?
Rousseau poursuit : « L’usage des chansons semble être une suite naturelle de celui de la parole, et n’est en effet pas moins général; car partout où l’on parle, on chante. » Rien n'est plus familier et propre à l'humain que l'acte de chanter. Boris Vian, l'auteur, musicien et critique s'y est intéressé en partant du point de vue de la « fabrication » de chanson, et nuance :
« Que ce mot « fabrication » ne dégoûte pas le lecteur; il y a des chansons « fabriquées », c'est exact. Mais il n'en reste pas moins, que pour nombre d'entre elles, « l'inspiration » joue son rôle comme dans toute création. » 1.3
Pour ce qui est de Charles Aznavour : « Si je savais ce qu'est une chanson / Si je le savais je vous le dirais (...) » 1.4
Intangible, la chanson
Où sont toutes ces chansons qui se tuent à nous dire comme à l'école, des paroles qui s'envolent? - Léo Ferré 1.5
Ce dont on peut être certain? Des paroles, un air, point. Intangible, la chanson. Personnellement, cette intangibilité me fascine. Du jour au lendemain peut naître cette créature sonore un peu elfique, indépendante et libre et virale comme une traînée de poudre quand elle touche la cible. Et je ne suis pas le seul que cela fascine : David Byrne en parle abondamment dans How Music Works. 1.6
En soi, la raison d'être d'une chanson relèvera encore et toujours du désir de partager avec autrui un état d'âme, une peine d'amour, un grand bonheur; du besoin d'immortaliser une personne ayant marqué les cœurs et les âmes, ou encore de raconter une histoire illustrant un fragment de l'aventure humaine (1.7) et dont la formulation - ramassée en une ligne ou une image qui sonne et qui cogne (1.8) - frappera l'oreille, le coeur et l'imaginaire d'un éventuel auditeur pour y faire son nid.
La chanson a fait miroiter toute la gamme des sentiments humains. Rares sont les sujets qu'elle n'a pas abordé. Et on se déplace encore dans des stades immenses pour l'acclamer, comme on peut aussi l'apprécier confidentiellement, dans nos écouteurs. Aussi immatérielle fut-elle, la chanson est omniprésente dans nos oreilles, nos mémoires et nos cœurs.
Qu'est-ce qu'une chanson: Un acte de communication .
1.1- Écrire une chanson, Jean-Pierre Ferland, coffret Les oubliées, 2008
1.2 - http://www.profeurope.pl/spip.php?article274 (caduc)
1.3 - Boris Vian, En avant la zizique, 10/18, 1966, p. 44
1.4 - http://www.profeurope.pl/spip.php?article274 (caduc)
1.5 - Cette chanson, Léo Ferré, Barclay, 1967
1.6 - David Byrne, How Music Works, McSweeney's Books, 2012
1.7 - L'aventure humaine, Guy-Philippe Wells, Brise-glace, 2009, PDLCD-7196
1.8 - Expression tirée du site web d'Eve Cournoyer
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Soumis par Pierre le 18 décembre, 2015 - 23:15.
Dis-moi des mots qui laissent des traces – Robert Charlebois 1.9
La chanson est fondamentalement un acte de communication oral et immatériel constitué de paroles apposées à une mélodie, un rythme ou un souffle, ne nécessitant que la voix humaine pour son expression minimale et dont le débit épousera de près la langue parlée afin de rendre son expression la plus naturelle possible. Il n'est question d'aucun accompagnement ni orchestration ou d'harmonie musicale à cette étape-ci. Que d'une créature de la voix, aérienne.
Il est question de la parole, de l'acte d'une personne émettrice désirant partager une idée, un état d'âme ou une anecdote à une personne réceptrice, par l'usage d'un code commun, c'est-à-dire le langage. « Un auteur [émetteur] tente de démontrer [intention] quelque chose [message] à quelqu'un [récepteur] par le moyen du langage [code] ».1.10
Dans le cas de la chanson, la notion de code se dédouble et comprend tant le code oral (soit les sons de la parole et leur organisation) que le code musical, c'est-à-dire que la parole coexiste avec un rythme et une mélodie à l'intérieur d'une gamme donnée, qui est une « succession ordonnée des différents degrés d'une tonalité ». Le texte apparait souvent sous la forme d'une rédaction avant d'être une créature sonore. L'aspect littéraire ne devrait toutefois pas se faire sentir trop lourdement, puisqu'il est question de s'exprimer comme on parle, et l'on ne parle pas tout à fait de la façon que l'on écrit.
À moins d'être livré en personne et a cappella, la parole passe maintenant plus souvent qu'autrement par un canal de transmission, celui-ci fût-il le microphone d'une performance scénique (ou de studio), pour transiter par l'enregistrement et aboutir ultimement dans un canal de diffusion, soit la radio, le disque ou l'internet. Naguère dépendantes du support vinyle, des discothèques entières sont désormais trimbalés ou streamés sur nos téléphones cellulaires. Incessant progrès.
À l'autre bout de la chaîne, l'auditeur reçoit l'offrande, l'apprécie (ou pas) et en dispose à sa guise. Soit il achète, soit il n'achète pas, au propre comme au figuré. Il y accordera plus ou moins d'importance, selon son intérêt envers l'artiste ou le genre musical.
L'auteur, lui, s'exprimera au meilleur de son talent, de son style et de sa personnalité. Dans le meilleur des cas, il y aura rencontre, connexion et une histoire d'amour entre les deux, pareil à Pour essayer de faire une chanson.
Comme une bouteille lancée à la mer, la chanson est une proposition unilatérale, en ce sens que l'auditeur ne peut intervenir dans l'émission du message. (1.11) Il en devient le dépositaire et perpétue, de facto une tradition humaine vieille comme le monde, celle de la chaîne de transmission orale.
Une chanson doit pouvoir se défendre par ses seuls mérites, sur ses seules bases, et n'a de ce fait aucun besoin d'être expliquée et/ou justifiée, ou noyée dans une orchestration. Elle doit pouvoir se faire valoir à la voix seule ou accompagné d'une guitare, d'un piano ou d'un instrument percussif, au minimum.
Qu'est-ce qu'une chanson: La chanson, un thème en soi
1.9 - Parle-moi, Robert Charlebois (Marie-José Casanova/R.Charlebois), Gamma, 1970
1.10 - Jean-Paul Simard, Le Guide du savoir-écrire, Éd. De l'Homme, 1984 p. 213
1.11 - Incidemment, c'est exactement le propos de Message in a Bottle de The Police, Regatta De Blanc, A&M, 1980
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Soumis par Pierre le 19 décembre, 2015 - 13:18.
La chanson, comme un témoignage de l'acte de la création en soi, occupe parfois la place centrale. Dans la veine de Pour essayer de faire une chanson, Jean-Pierre Ferland a pondu Écrire une chanson, une chanson intimiste et impressionniste, qui met le doigt sur l'acte de mettre en musique, sa vie : [Écrire sur des glaces fondues / Bâtir des marais profonds / Sa vie, ses chagrins et les amours qu'on aurait voulus / Ça se dit écrire une chanson]. Sans trop se prendre au sérieux non plus : [Ne pas trop chercher d'importance / D'un métier qui ressemble à la vie].
Cette chanson, de Léo Ferré est un pur bijou de délicatesse mélodique et de simplicité émotive : [Où est passée cette chanson qui traînait dans toutes les guitares / Avec ses rimes et ses raisons qui nous faisaient veiller si tard? / Un air accompagnait des paroles émues / Un air qui semblait toujours monter de la rue / Des mots, toujours des mots, des mots de rien qui font du bien...].
Elton John, par la plume de son parolier Bernie Taupin, n'aurait produit que Your Song de significatif, qu'il mériterait sa place au panthéon de la pop : [It's a little bit funny, this feeling inside / I'm not one of those quo can easily hide...]. Les papillons, la nervosité de tomber en amour et le désir de le dire : [And you can tell everybody / this is your song], et peut-être la ligne la plus adorable du morceau : [Yours are the sweetest eyes I've ever seen]. Le premier succès commercial d'Elton John, et le socle sur lequel repose sa carrière.
25 or 6 to 4 a aussi été le premier succès du groupe Chicago, et son titre n'a jamais cessé d'intriguer. Que veulent dire ces nombres-là? Il s'agit simplement de l'heure à laquelle la chanson est née, et du fait de composer, sous pression, une chanson à 25 ou 26 minutes avant 4 heures du matin pour une session d'enregistrement. Assis les jambes croisées, juste un peu avant l'aube, s'asperger d'eau le visage pour rester réveillé, et cet urgent besoin de trouver de quoi à dire / 25 (ou 26 minutes) avant 4 heures....
Dans le même ordre d'idée de la mise au monde d'une chanson, on retrouve évidemment Daniel Boucher et Les boules à mites, dans un contexte physique similaire au moment où il invoque les muses dans le but de provoquer l'accouchement d'un morceau: [Ben assis, nu-pieds su'l bois franc / le p'tit rouge, la flamme en transe / la boucane qui danse [...] la chandelle éclaire le coin du lit / À soir on fouille les boules à mites].
Le but final, la création d'une chanson, demeure le même pour les deux oeuvres, mais le chemin emprunté pour le dire est différent: le moment présent pour Chicago, l'invocation du passé dans un but de libération d'une certaine magie, comme une catharsis pour Boucher.
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Soumis par Pierre le 15 mars, 2016 - 14:48.
« Sans technique, un don n'est qu'une sale manie » - Georges Brassens
L'une des raisons pour lesquelles on vient suivre un atelier tel que "Les Ingrédients de base d'une chanson" est principalement pour acquérir une technique, un savoir-faire, une méthode dans le but d'économiser temps, efforts et minimiser un tâtonnement laborieux dans une démarche d'écriture.
Cela accélère la compréhension du comment ça s'écrit, et de ce qu'on y trouve : sentir une intention de communiquer, trouver un titre qui fait image, savoir se résumer en une phrase, définir la structure, etc. À la longue, adopter une démarche est payant; cela fait partie d'avoir du métier, d'aller à l'essentiel, de trouver au lieu de chercher, comme disait Picasso. D'ajouter au plaisir d'écrire, surtout.
La raison d'être de la technique est de soutenir l'inspiration, de l'alimenter et de lui donner des ailes. Un instrumentiste développe une technique afin de lui permettre de se surpasser en toutes circonstances, de rester solide et prêt pour la performance en dépit de la fatigue, du stress, du décalage horaire, ou quoi encore. Cela s'appelle « faire ses gammes ». Une danseuse ne peut s'accomplir sans bien posséder sa technique. Idem pour une chanteuse d'opéra. Cela vaut pour toute pratique artistique.
Être au rendez-vous
On associe souvent la technique à de la froideur. Il est vrai qu'envisager écrire une chanson sur de seules bases techniques, sans supplément d'âme et mécaniquement, est tout sauf inspirant. Mais l'idée n'est pas de le voir ainsi. Si l'on s'y prête au jeu régulièrement, cela devient une façon de se réchauffer et de garder la main, et de conserver une salutaire discipline.
On s'entend, une bonne chanson est celle avec un élément de magie, quel qu'il soit. Le but, c'est d'oublier que l'on utilise une technique pour arriver à ses fins. Et l'important, c'est d'être au rendez-vous quand l'illumination se pointe, comme l'expliquait l'auteur-compositeur-interprète américain Stan Ridgway à la question suivante : « Essayez-vous d'écrire à tous les jours, ou attendez-vous l'inspiration? »: « Je prends rendez-vous. Avec ma muse. Je le fais à tous les jours, au moins pendant un certain temps. Ça ne veut pas dire qu'elle va toujours se pointer. Mais moi je suis là. » 1.12
Même question, cette fois à David Byrne: « Êtes-vous le genre d'auteur qui confectionne des chansons sur une base quotidienne, peu importe votre niveau d'inspiration? », Byrne répondait : « Oui. Je crois toutefois qu'il faut attendre l'inspiration. À moins d'être là à attendre le bus, vous n'y embarquerai pas s'il se pointe. Si vous vous occupez à faire autre chose toute la journée, une chanson ne viendra pas vous taper sur l'épaule pour vous dire « Hey, arrête-toi, je suis là! » Ça peut arriver mais je crois que c'est plutôt rare. » 1.13
Byrne poursuit : « Je débute par écrire des lignes au hasard. Je peux me mettre à rédiger sur un sujet en particulier, et là une ligne m'enthousiasme, et je peux repartir de celle-là. Parfois j'allume la boîte à rythme, j'y programme un groove […] j'y plaque une progression d'accords […] j'improvise une mélodie là-dessus, des mots bidons […]. C'est plutôt «low-tech» à cette étape. »
Des repères
Une technique consiste à utiliser une panoplie de méthodes conscientes ou semi-conscientes impliquant de se donner des repères au moment où l'idée de chanson s'impose à nous, des repères que l'on applique alors presque d'instinct : une ligne, un jeu de mots, un titre ou une image forte qui met le cerveau sous tension.
Par exemple: se donner un point de départ stimulant, concevoir le chemin par lequel se développera et/ou se conclura l'histoire, ou encore anticiper quelle genre et quelle forme musicale mettront votre trait de génie en valeur.
Pour certains, la technique copier/coller (à une autre époque, il s'agissait tout simplement d'utiliser une paire de ciseaux et de découper sa feuille de texte pour dégager une forme) est une méthode qui a fait ses preuves créatives en déplaçant et replaçant des lignes ou des couplets, résultant d'essais et d'erreurs, etc.
C'est un peu cette technique que Stan Ridgway utilise, à sa façon atypique et qui lui procure des résultats étonnants. Il utilise une série de sacs dans lesquels il consigne des idées et des trouvailles, et y pige des bribes au hasard : « Je me fait accroire que j'ai une certaine organisation, mais je n'en ai vraiment pas. » Il laisse le hasard et une certaine libre-association d'idées faire son oeuvre. « C'est comme pratiquer l'alchimie avec certaines zones de la conscience, et voir quelles nouvelles trouvailles on peut en tirer. […] Ce qui fait que j'ai tous ces sacs que je déteste! (rires) »
Pour d'autres encore, et j'en connais, il n'y a juste... pas de technique. Qu'un premier jet brut que l'on se refusera de retravailler sous quelque prétexte que ce soit. C'est une option. Parfois, le texte peut sortir parfaitement tel qu'il est. Mais plus souvent qu'autrement, cela risque d'être advienne que pourra, surtout si on pratique la chanson de façon dilettante et aléatoirement.
« Un texte bien ficelé fera toujours meilleure impression. » notait, avec justesse, Stéphane Laporte. Il me semble aussi, à vrai dire.
1.12: Stan Ridgway, interviewé par Paul Zollo, Songwriters on songwriting, Da Capo, 2003, p. 625 1.13: David Byrne, (Talking Heads), interviewé par Paul Zollo, Songwriters on songwriting, p. 501
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Soumis par Pierre le 24 avril, 2016 - 15:20.
Avant toute chose, « Une chanson est un divertissement. », affirmait Sheila Davis dans The Craft of Lyric Writing. (2.1) Elle nous accompagne tout au long de notre journée et de notre vie, elle nous fait chanter, siffler, danser; elle nous réconforte, chasse la mélancolie et nous change les idées. Elle sert de trame sonore et de sous-texte à notre quotidien; on le constate quand nous vient spontanément en tête une ligne ou un air précis dans des circonstances ou les émotions sont fortes. La chanson nous met des mots en bouche pour interpréter les émotions de la vie. Elle nous parle, et elle parle pour nous.
Une expérience émotionnelle satisfaisante
« Tous les bons paroliers sont des artistes accomplis en mesure d’offrir à un auditoire une expérience émotionnelle satisfaisante. Toute chanson connaissant du succès raconte quelque chose qui pousse des milliers de personnes à l'écouter et à vouloir la réentendre à nouveau », poursuit Mme Davis.
Certaines font résonner en chacun de nous une corde sensible, que cela soit par une affirmation, un questionnement ou par conviction; cela fait que l'on se reconnaît en elles, que l'[on se ressemble toi et moi]. (2.2) C'est se dire à soi-même : « Je sais ce qu'il, ce qu'elle veut dire », ce qui entraîne un phénomène d'identification vis-à-vis du propos.
L'identification spontanée à un cri du cœur, à un titre, à un.e artiste est souvent au cœur de l'attachement que l'on ressent à toute proposition chansonnière qui nous touche. Comme un
« effet miroir » dans lequel on se reconnaît.
L'artiste, reflet de sa société
« [Cela] signifie que tout ce que nous voyons chez les autres n’est que le reflet de nous-mêmes. En effet, quand quelque chose nous plait chez quelqu’un, il s’agit généralement d’une partie de nous-même à laquelle nous nous identifions, à laquelle nous ne voulons pas croire ou que nous n’osons pas exprimer. » 2.3
« J'ai crée un monstre! », affirmait Lisa LeBlanc à la télévision quant à son titre de 2012, Aujourd'hui ma vie c'est de la marde, ce qui en disait long quant à la spectaculaire résonance de son cri du coeur dans le public pendant les événements qualifiés de « Printemps érable » de la même année au Québec. 2.4
Les Gens de mon pays de Gilles Vigneault reflète une perception du peuple québécois dans l'oralité de son quotidien : [Il n'est chanson de moi / Qui ne soit toute faite / Avec vos mots vos pas / Avec votre musique].
L'allégorique Les étoiles filantes des Cowboys fringants relativise notre passage sur Terre en le ramenant, à l'échelle cosmique, au passage d'une comète fugace.
La notion de miroir a été maintes fois invoquée par les artistes pour expliquer leurs rôles sociaux et justifier un droit de parole. De fait, l'artiste propose, et le public adopte ou en dispose.
L'auteur de chanson comme porte-voix
L'identification est un chemin à deux voies puisque l'artiste, pour entretenir le lien avec son public, cherchera à se raconter par des chansons qui le toucheront au coeur. « Les pièces que je choisis doivent être des histoires qui me sont arrivées personnellement, ou à des gens que je connais. » affirmait Linda Ronstadt. 2.5
N'est-ce pas en quelque sorte l'approche d'une Laurence Jalbert, qui s'est souvent faite la porte-parole d'une partie de son public qui lui confiait ses secrets les plus douloureux? Idem pour Linda Lemay, une observatrice du quotidien aguerrie? Les auteur.e.s ont le réflexe de se coller à des préoccupations terre-à-terre, celles de monsieur et madame tout-le-monde.
L'auteur.e de chanson devient un porte-voix de ceux et celles qui se reconnaissent dans son oeuvre. C'est ici que la chanson cesse d'être une proposition de communication unilatérale et revient vers l'artiste, le nourrit, contribue à sa démarche créatrice et lui amène de la crédibilité.
Étienne Daho, à propos de son album de 2013, Les chansons de l'innocence retrouvée, tenait un peu ce genre de discours : « C'est un album pour les autres, qui regarde les autres. Il parle de tous les "outkasts" [sic], de gens qui ont souffert, qui ont du mal, qui ont perdu, en fait. J'avais envie d'être cette voix-là. » 2.6
Cette pièce emblématique de Ginette Reno - signée Diane Juster - illustre parfaitement l'osmose qu'il peut y avoir entre un-e interprète de par les mots qu'elle incarne, et son adoption par le public. L'interprète incarne la chanson, et cela déborde du coup sur la notion d'identité, et définit l'artiste sous les feux de la rampe. Le public a acheté le propos de Madame Reno, au propre comme au figuré : ce titre, vendu à plus de 350 000 copies, a insufflé un souffle nouveau à sa carrière, à sa parution.
L'artiste cherche à s'identifier à la masse. (Je suis un gars bien) Ordinaire de Robert Charlebois - un texte de Mouffe - a, paradoxalement, grandement contribué à le définir en tant qu'artiste et à le catapulter au firmament de la francophonie. Avec à la base un message introspectif et réflexif, c'est-à-dire celui d'être un homme ordinaire s'observant dans une situation extraordinaire, Charlebois s'identifiait au-delà de tout à une condition humaine universelle en hurlant son idéalisme au-delà de sa propre personne, et en bouclant la boucle : [J'suis pas un chanteur populaire / J'suis rien qu'un gars ben ordinaire].
Prise au premier degré, le commentaire de Et moi, et moi, et moi de Jacques Dutronc dépeint un personnage égocentrique qui perçoit superficiellement les problèmes mondiaux, les ramène systématiquement à sa petite personne, pour les évacuer aussitôt : [J'y pense et puis j'oublie / C'est la vie, c'est la vie]. L'auteur Jacques Lanzmann illustre le nombrilisme d'une époque par une satire en mode crescendo hyperbolique, procurant une antithèse toujours plus impressionnante à chaque couplet, et ce jusqu'à l'absurde [50 millions de petits martiens / Et moi, et moi, et moi]. Lanzmann y passe un commentaire social fort, suggérant le vide de la vie matérialiste.
De façon plus large, l'identification débouche parfois sur un regard empathique envers son prochain, tel Jean Ferrat chantant Louis Aragon dans J'entends, j'entends: [Ah je suis bien votre pareil / Ah je suis bien pareil à vous], alors que l'interprète observe, sans les juger, ses semblables en lesquels il admet se reconnaître dans leurs faiblesses. D'une grande universalité et profondeur d'âme.
Plus près de nous, le groupe Mes Aïeux, par la pièce Dégénérations jetait un oeil à la fois impitoyable et empathique sur les générations ayant d'abord cultivé et rentabilisé la terre ancestrale pour ensuite la brader, dans un élan individualiste [pour devenir fonctionnaire], avec les répercussions pour la génération subséquente qui, elle, [rêve de son petit lopin de terre].
À l'autre extrémité du spectre, on retrouve un Charles Aznavour qui fait dire à son personnage de Je m'voyais déjà : [mes chansons ne font rire que moi], et [Si tout a raté pour moi, si je suis dans l'ombre / Ce n'est pas ma faut' mais celle du public qui n'a rien compris]. Visiblement, l'universalité et l'identification ne sont pas dans ses priorités, à celui-là. Et en plus, le raté blâme le public! Il n'y avait que Charles Aznavour pour mettre en scène un perdant aux antipodes de la carrière qu'il a mené.
2.1 - Sheila Davis, The Craft of Lyric Writing, p.264, traduction libre.
2.2 - On se ressemble toi et moi, France Gall, Baby pop, Phillips 1966
2.3 - http://www.les-therapies-breves.com/en-savoir-plus/effet-miroir-psycholo...
2.4 - À son passage à l'émission Tout le monde en parle du 1er avril 2012
2.5 - Linda Ronstadt citée dans The Craft of Lyric Writing
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Soumis par Pierre le 27 avril, 2016 - 23:54.
« 85% des grandes chansons sont des chansons d'amour. » avance Sheila Davis. (2.7) Cela est certainement près de la réalité; pas besoin d'une étude scientifique pour en faire la démonstration, n'est-ce pas, l'amour étant le sentiment universel par excellence comme sujet de chanson. Je n'apprends rien à personne ici.
L'amour naissant, l'amour flamboyant, blessé, meurtri, trompé, ou nostalgique, l'amour a été chanté de toutes les façons imaginables depuis qu'il rime avec toujours. On peut parfois avoir l'impression que tout a été dit à son sujet. Et pourtant, il y aura toujours une voix d'auteur propre à chaque génération pour réinventer la façon d'en parler et de le chanter.
Les chansons racontent la vie, le quotidien, les sentiments forts qui traversent nos journées. Essentiellement, les comportements et les interactions des hommes et des femmes seront, et pour longtemps encore, l'apanage des auteurs qui nous rejoignent par leur œil aiguisé et la véracité de leurs observations.
Quelque soit le propos, viser l'universalité pour communiquer le plus largement possible est un principe de base, pas juste une préoccupation commerciale. Parler d'une façon intime de ce que l'on connait est souvent le chemin pour atteindre l'universel.
Conserver l'attention de l'auditeur
Poursuivons avec Mme Davis : « Qu’est-ce qui nous permet de rester accroché à la chanson? Un texte présentant des personnages qui sont identifiables, des situations réalistes ainsi que des émotions universelles.
Qu’est-ce qui nous fait décrocher? Un texte confus, ennuyant, ou qui nous met mal à l’aise. Personne ne restera attentif à une histoire difficile à suivre, à une situation irréaliste ou à un personnage antipathique.
Et personne n’est intéressé à se faire faire la morale, ni à se faire sermonner. Ce que l’amateur doit acquérir afin de devenir professionnel est une façon de parler aux gens qui va conserver leur attention.
Les erreurs d’écriture se rangent en deux catégories : les corrigibles et les fatales. Une multitude de petites erreurs peuvent être rattrapées; par exemple, une métaphore confuse, des phrases ambigües, un développement déficient ou un ton inconstant. Ces erreurs se corrigent, une fois que l’auteur les a identifiées. »
La chanson n'est pas une thérapie
« Par contre, une erreur fatale en est une qui néglige la pierre angulaire de l’écriture de chansons : l’universalité. La pire gaffe qu’un parolier puisse faire est de présumer que les gens sont intéressés à entendre parler de ses problèmes d’ordre privé, ou de son attitude marginale. »
Écrire à propos d'une attitude ou d'un point de vue marginal, ou sur un incident anecdotique peut révéler un trait brillant d'humanité si les mots, l'angle et l'interprétation sont au rendez-vous; Jean Leloup a fait carrière à écrire sur le mal de vivre et la marginalité, vous me direz. Lisa LeBlanc fait un tabac avec un titre scatologique à souhait.
Mais, essentiellement, cela demeure l'exception qui confirme la règle. Si l'acte d'écrire est libérateur et thérapeutique, on ne doit pas perdre de vue que la chanson, en soi, n'est pas une thérapie, mais bien un divertissement. Cela fait toute la différence.
Toutefois - et ceci pourra sembler contradictoire - la chanson aura servi maintes fois à se vider le cœur, à prendre sa place, à s'affirmer durant des périodes plus tumultueuses d'une vie. Elle aura contesté l'autorité, dénoncé des injustices, soutenu des luttes ouvrières et fait réfléchir sur des questions existentielles. Donc, pas question d'exclure ni la chanson engagée, ni la chanson à thématique philosophique, ou même la chanson trash ici. Une chanson n'est au service d'aucune cause. Si elle peut appuyer une cause, elle doit d'abord et avant tout servir la sienne propre, et demeurer farouchement libre.
C'est aussi l'attitude qui animait Bob Dylan quand il a décidé d'électrifier sa guitare et de passer à un autre type de chanson que celle pour laquelle il s'est d'abord fait connaître, la chanson engagée, la protest-song. Virage que certains de ses fans puristes d'alors ont fort mal encaissé. Dylan revenait à la notion de chanson pour elle-même, pour sa beauté, (2.8) et non pour contenter les attentes et exigences de fans intransigeants. Le temps lui donna pleinement raison.
Ce qui ne veut pas dire de ne pas s'épancher, non plus; nous vivons à une époque favorisant les expressions extraverties, et la pudeur n'a pas vraiment la cote. À vous de distinguer quelles sont vos limites. Il demeure que la ligne reste fine entre communiquer l'authenticité et susciter un malaise. À moins d'avoir un recul certain face à un événement difficile, les sujets tabous ou à fleur de peau demanderont une attention et un doigté particuliers.
Tous les artistes ne poursuivent pas forcément l'idéal de plaire au plus grand dénominateur commun, heureusement. Plume Latraverse se fout éperdument de cela. Et c'est en partie pour cette authenticité et ce je-m'en-foutisme apparent que ses fans l'aime, en plus de ce qu'il a à dire, évidemment.
Plume est un tendre en dépit de son approche parfois revêche; il suffit d'une écoute de sa chanson Les pauvres (2.9) pour s'en convaincre. La dérision qu'il y emploie sert-elle à se moquer d'eux, ou plutôt à désamorcer les préjugés populaires envers ceux-ci, en nous tendant un miroir à nous, auditeurs, dans le but de nous amener à réfléchir à nos propres certitudes...?
2.7 - S. Davis, The Craft of Lyric Writing, Writers Digest p.4
2.8 - pour paraphraser Stéphane Venne dans Le frisson d'une chanson, Stanké, 2006
2.9 - Les pauvres, Plume Latraverse, All Dressed, Deram/Dragon, 1978
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Aimez-vous écrire? Ressentez-vous le besoin de noter, d'échanger et de communiquer par l'écriture une histoire émouvante, une anecdote irrésistible, un intense sentiment amoureux, ou une peine d'amour indescriptible? Si c'est un OUI vibrant, vous n'attendrez certes pas d'invitation ou de permission pour vous y mettre. Ce sera déjà chose faite.
Les auteurs à qui les mots viennent avec aisance peuvent faire envie à ceux et celles qui ne l'ont pas facile. Ces auteurs favorisés devraient, en toute logique, avoir une longueur d'avance sur ceux qui peinent à écrire, non?
Avoir un talent ne dispense pas de l'effort de travail, au contraire. Qui ne connait pas quelqu'un de son entourage qui soit immensément doué pour les sports ou les arts, par exemple, mais que l'absence d'ardeur et d'implication contraint à tourner en rond dans le développement de sa pratique? Normalement, le travail amène des dividendes pour ceux qui se sont donné une chance en persévérant au-delà de leurs tentatives de débutants, aussi décevantes puissent-elles avoir été.
Vient un moment où les bonnes lignes apparaissent. Où on échappe un admiratif et dubitatif «C'est moi qui ai écrit ça? » . L'on doit s'accorder du temps et de l'espace de jeu sur le plan créatif. Cela requiert une certaine patience pendant nos tâtonnements de débutants, afin de donner à notre plume une chance de s'épanouir. Et cela vaut pour toutes les formes d'expressions créatives.
Si l'insatisfaction persiste malgré vos efforts, si les mots ne vous viennent toujours pas facilement et que vous tenez tout de même à produire des textes de chansons, vous aurez alors avantage à cibler vos efforts en assimilant les principaux paramètres de la grille d'analyse proposée ici. Se familiariser avec des balises claires vous permettront de raffiner votre courbe d'apprentissage, de décodage et de rédaction. À tout le moins, vous saurez comment lire un texte... entre les lignes.
L'authenticité au cœur de l'expérience
D'entrée de jeu, prenez conscience que vous êtes au coeur de cette expérience de communication qu'est la chanson. En étant votre point de départ, personne ne peut trouver à redire si vous parlez honnêtement de ce qui vous a ému. Votre expression se raffinera en autant que vous vous allouiez temps, espace, persévérance et un peu d'indulgence. Vous gagnerez à l'alimenter au meilleur de vous-même en vous y abandonnant. Amusez-vous. Investissez dans votre expression. Lisez. Apprenez aussi à ne pas vous contenter trop vite. Les bons auteurs se disent qu'ils peuvent toujours faire mieux.
Cultivez le réflexe d'écrire assidûment, régulièrement ou à tout le moins pendant des périodes de temps propices. En rédigeant quotidiennement, vous entretiendrez un réflexe, un muscle d'auteur et de créateur, et progressivement le besoin d'écrire s'installera. Notez vos traits d'esprit, les lignes qui accrochent votre oreille au hasard, celles que vous auriez aimé pondre. Faites-en un tête-à-tête régulier avec vous même. Donnez « rendez-vous à votre muse », comme le disait Stan Ridgway ci-dessus.
Il n'y a rien comme de sortir de sa zone de confort pour se surprendre et se dépasser. En même temps, l'on cherche à rester soi-même et à parler franchement des choses que l'on vit, sans filtre ni fausse pudeur. Vous avez une histoire, une émotion forte à sortir? Couchez-là par écrit, rapidement, intensément, sans réfléchir et en vous relisant le moins possible à cette étape.
En fait, la seule personne pouvant vous censurer sera vous-même si vous vous laissez distraire. Évidemment, à cette étape-ci de la rédaction, l'on se doit d'ignorer le doute. Il y aura toujours un moment pour se relire et réécrire, mais pas là, pendant que la vanne est ouverte.
Laissez sortir le torrent. Jouez franc jeu envers vous-même, et abandonnez-vous par l'écriture automatique. Suivez le courant où il vous mène. Suivez vos associations libres. Laissez-vous surprendre. C'est à ça que sert ce type d'écriture. À ce point-ci, les mots jaillissent et ne feront peut-être du sens que plus tard. Tant mieux. Les accidents heureux sont une manne pour l'auteur. Ils apparaissent au fil des « heures de vol », à force d'écrire et si on les laisse surgir, si on ne s'autocensure pas en chemin. L'écriture de chanson se veut ludique avant tout. Idem pour la musique : ne dit-on pas qu'on en joue ?
3.0 - Emprunté à Robert Léger dans Écrire une chanson, Québec Amérique, 2002, p. 20
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Soumis par Pierre le 16 May, 2016 - 15:38.
C'est la faute à Dylan - Alain Bashung
Depuis Bob Dylan, l'importance d'avoir « de quoi à dire » domine le monde de la chanson. Cela démontre à quel point son oeuvre a imprégné les esprits depuis six décennies. Dylan a donné le goût de la profondeur aux Beatles, et de chanter autre chose que I want to hold your hand. Résultat? Lennon a écrit In My Life, McCartney, Yesterday, et une industrie culturelle a prospéré comme jamais grâce à ces trois géants.
Avoir de quoi à dire revient essentiellement à s'exprimer d'une façon qui nous est unique, inimitable et à notre image, sur des sujets ou des thèmes qui nous appartiennent, qui puisent à même notre expérience, à nos émotions et à notre point de vue sur la vie. [P't-être que demain ça ira mieux / mais aujourd'hui ma vie c'est d'la marde] (3.1) lance avec conviction Lisa LeBlanc. Difficile de douter de la sincérité de son propos, surtout si elle relativise son commentaire en laissant la porte ouverte à l'espoir que demain pourrait être meilleur. On y croit. On perçoit la sincérité de la chanteuse.
Eve Cournoyer attaquait Tout arrive par [Rien ne peut anéantir quelqu'un autant / que de voir ses rêves voler en poussières], (3.2) une déclaration lourde de sens pour quiconque ayant vécu une profonde désillusion dans sa vie. Cette phrase sonne vraie. Ève Cournoyer vivait, écrivait, et parlait vrai. Tout cela est dans son œuvre.
Dans La désise,(3.3) Daniel Boucher joue d'audace en ouvrant avec un ton provocant qui établit son personnage de bum lucide : [Je suis un crotté / un égocentré / je suis un pas d’cœur, un pas d’classe, un charmeur / courailleux, va nu-nu-pieds, pis j’t'appelle juste / quand j’ai un lift à t’téter...]. L'auteur annonce franchement ses intentions et ses couleurs, et du coup accroche l'oreille immédiatement. Incidemment, c'est ce morceau qui lui permettra d'imposer son talent au public avec ce formidable coda [Ma gang de malades / vous êtes donc où?] que retiendra l'imaginaire collectif.
Ce genre de texte et de démarche n'est pas évident à faire passer en chanson populaire : l'éclairage auto-critique que Boucher jette sur certains de ses comportements reflète la perception qu'a pu avoir de lui son entourage à cette étape de sa carrière, selon ce qu'il a déjà déclaré en entrevue.
L'éclairage négatif en chanson est, par principe, une approche déconseillée. C'est une loi non-écrite : l'interprète ne devrait pas se retrouver dans un éclairage défavorable. Personne n'aime avoir le mauvais rôle; c'est normal et humain. Ce genre d'angle a des chances de résulter en un malaise et de voir votre auditeur décrocher. Sans parler de la difficulté de trouver un interprète qui voudra s'identifier à un brûlot. Par contre, une recherche le moindrement approfondie indique que cela n'est pas rare comme façon de procéder.
Si vous vous sentez inspiré.e, et que vous êtes ouvert.e à l'assumer, alors ma foi, couchez-le par écrit. Peut-être emprunterez-vous des « chemins qui ne mènent pas à Rome » comme le chantait Brassens, (3.4) et que cela vous permettra d'aboutir en un lieu insoupçonné! Peut-être cela sera-t-il une approche fil-de-fériste comme angle chansonnier, mais si vous y croyez, suivez votre instinct.
Sentiments et personnages fictifs
Ce que vous aurez de plus touchant et de convaincant à raconter le sera à propos de vous-même, de votre entourage, de vos convictions et de vos observations. Trop souvent néglige-t-on ses propres expériences en tant qu'apprenti-auteur. Or, pour Oscar Hammerstein, grand parolier américain cité par Sheila Davis : « La majorité des mauvais textes résultent de l'ignorance ou de la négligence de ses propres expériences, et de l'imposition de sentiments fictifs à des personnages fictifs ». 3.5
Pour renchérir sur le sujet, Robert Léger a ceci à ajouter : « Vous serez touchant si vous faites l'effort de vous livrer vraiment, au risque de ne pas être aimé; (…) si vous évitez de vous exposer, vous ne dérangerez personne, et personne ne vous verra, ne vous aimera vraiment. » (3.6) En effet, pourquoi ferait-on l'effort de s'intéresser à ce que vous dites, si vous faites semblant? On n'accroche pas à ce qui nous semble faux. Cultivez votre jardin.
Évidemment, on ne devient pas poète par un seul souhait. L'aspirant s'abreuve à des sources qui l'inspire, le porte et le transcende. Dans son auto-biographie « Chronicles, vol. one », (3.7) Dylan, lève justement le voile sur le débutant qu'il était, et sur les artistes et les chansons qui l'ont aiguillé sur la voie (et la voix) qui enflammera l'idéalisme d'une génération.
Dylan y raconte qu'après avoir absorbé une quantité phénoménale de chansons folk ET l'oeuvre de Woody Guthrie au complet, il lui restait encore à découvrir celle de Bertholt Brecht et de Kurt Weill, notamment par le titre Pirate Jenny (3.8) qui fut déterminant dans sa façon de structurer une histoire complexe, en plus d'intégrer l'oeuvre du bluesman Robert Johnson, celui qui
« pactisa avec le diable à la croisée des chemins » selon la légende – et dont l'influence teinta le blues et le rock 'n roll quand ses chansons refirent surface au début des années soixante.
C'était ce qu'il restait à Dylan à absorber avant de pondre ses premiers chefs-d'oeuvre tel
« Blowing In The Wind », « The Times They Are A-Changing » ou « A Hard Rain's A-Gonna Fall ». Nul ne doit rien à personne. Tous les artistes ont une dette envers leurs prédécesseurs. Même Bob Dylan.
3.1 - Aujourd'hui ma vie c'est d'la marde, Lisa LeBlanc, Lisa LeBlanc, Bonsound, 2012
3.2 - Tout arrive, Ève Cournoyer, L'écho, C4, 2005
3.3 - La désise, Daniel Boucher, Dix mille matins, GSI 1999
3.4 - La mauvaise réputation, Georges Brassens, La mauvaise réputation, Polydor, 1952
3.5 - Oscar Hammerstein II, cité par Sheila Davis dans The Craft of Lyric Writing, p. 264
3.6 - Robert Léger, Écrire une chanson, Québec Amérique, 2002
3.7 - Bob Dylan, Chronicles Vol. 1, Simon & Schuster, 2004
3.8 - Pirate Jenny (Bertholt Brecht/Kurt Weil)l, Tirée de L'opéra de quat'sous, 1929.
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Soumis par Pierre le 2 Mai, 2009 - 18:55.
« Comme un policier enquêtant pour un crime... »
Débute ainsi Pour Essayer De Faire Une Chanson de Charles Aznavour. Métaphore filée illustrant la création d'une chanson, cette pièce courte compare à rien de moins qu'une enquête judiciaire au complet le fait d'accoucher d'une chanson, une [oeuvrette de rien] de surcroît, en usant de subterfuges, de manigances voire de... personnifications!
À l'aide d'une comparaison doublée d'une anaphore, chaque couplet représentent une étape dans la démarche de l'auteur. Le policier, le souteneur, le procureur et même l'avocat de la défense, tout le monde y passe! Comme dans tout bon C.S.I., on débute les deux pieds dans l'action avec l'auteur-policier déjà qui « fouille, cherche, guette, cerne et questionne l'idée ». C'est le débroussaillement des mots, la recherche du sujet, de la piste qui paraît prometteuse, les premiers jets. On peut aussi le voir sous l'angle d'une gradation ascendante, belle démonstration d'un développement émotionnel et graduel crédible de la démarche. On ne néglige aucun détail au passage: le souffle, la rime, la phrase ainsi que l'inspiration; l'enquête semble partie pour être rigoureuse...
Ça se corse dans le deuxième versant du même couplet lorsque « je traque le mot, construit la métrique et passe à tabac mon inspiration ». Les sonorités des mots, les allitérations ruent dans les brancards; on nous sert de la consonne dentale (t) doublée d'une uvulaire (r = Tr), de vélaire (k) et de labiales (b, p, m) pour retomber sur ses pattes. Reste plus qu'à jeter un oeil pour s'assurer que la phonétique suit, et le tour est joué; on termine avec le titre en guise de conclusion, placé judicieusement à la fin pour fermer le couplet et lui conférer tout son sens, soit celui d'essayer de faire une chanson... Un premier couplet A de passé, on remet ça au deuxième...
« Comme un souteneur qui joue sur sa chance / en frappant l'accord j'effraie mon piano »; on monte d'un cran dans l'intensité de l'acte créatif, venant cette fois de l'angle du compositeur-souteneur. Outre jouer, frapper et effrayer, « je fais leur affaire (...), claque la note, bat le tempo, fais chanter une mélodie » (...) et « fais main basse sur l'harmonie », tout ça dans un seul but toujours, soit essayer de faire une chanson... Comme disait l'autre: c'est un sale boulot, mais quelqu'un doit le faire. On voit bien que lorsque c'est le moment, les sons savent se faire durs, mais savent aussi se faire doux, voire manipulateurs... Du fait, il est intéressant aussi de noter de quelle façon l'harmonie appuie le discours dans le deuxième acte, justement.
Et à nouveau, démontrant que le style est affaire de volonté, on ramène une troisième fois la comparaison-personnification en ouverture de couplet: « Comme un procureur... » qui cèdera la place deux lignes plus loin à « l'avocat qui plaide non-coupable ». Rendu là, ça sent la symétrie : choisir de construire une structure avec en parallèle des personnages qui se succèdent, les mettre en scène en incarnant des états d'âme illustre les étapes de création d'une
[oeuvrette de rien], je le rappelle. En fait, ça ressemble à de l'anaphore tout craché.
La symétrie peut prendre bien des formes ; disons que c'est une des couleurs de base qui sait faire preuve de récurrence dans la palette du parolier, de plus d'une façon.
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Si vous partez avec une ligne ou une idée en tête et que celle-ci se défile ou vous donne l'impression de tourner en rond, ou avez l'impression de vous jouer la comédie, bref, si vous ne sentez pas ce que vous rédigez, marquez une pause et questionnez-vous sur ce que vous voulez aborder. Interrogez-vous sur vos raisons (émotives et intellectuelles) d'aborder le thème en question. Est-ce un sujet, un thème ou une idée qui vous tient vraiment à cœur? Partez-vous d'un fait authentique, d'une émotion sincère, ou tenez-vous plutôt une « fausse bonne idée » entre les mains?
Questionnez le fond de votre message, à savoir où vous voulez en venir, et tentez de le résumer en une phrase-clé. Mettez le mode « chanson » sur pause le temps qu'il le faut, et passez en mode prose. Couchez votre idée par écrit; peut-être y découvrirez-vous une histoire sous-jacente qui vous touchera plus profondément? Peut-être changerez-vous votre angle d'approche? À tout le moins, c'est le temps d'essayer autre chose si ça bloque.
SI ça ne vient pas, mettez cela de côté. Ça arrive. Passez à autre chose pour mieux y revenir plus tard. Allez prendre une marche. Éloignez-vous momentanément. Laissez votre subconscient mijoter à feu doux. Comme on se dit souvent, l'on ira dormir là-dessus puisque la nuit porte conseil et que, de toute façon, demain est un autre jour. Et vlan les clichés!
« Je noterai ça demain... »
La phrase fatidique. Ne vous fiez surtout pas à votre mémoire. Vous risquez de ne jamais retrouver la formulation exacte de votre trait de génie. Le sérieux que vous accorderez à la pratique témoignera de votre engagement envers votre art et fera une différence au fil du temps. Écrivez et réécrivez. Mettez vos notes au propre de temps à autre. La réécriture est partie prenante du processus et du plaisir d'écrire, et peut être un excellent prétexte de réchauffement, évacuant du coup le syndrome de la page blanche.
Le risque d'écrire
Robert Léger, dans Écrire une chanson, (3.9) décrit de manière minutieuse et éclairante l'acte d'entrer en soi-même afin d'en extirper une chanson, pareil à une plongée en apnée. Il est vrai qu'écrire peut être parfois houleux; brasser des émotions enfouies depuis longtemps reste un geste qui n'est pas toujours sans conséquences.
Certes, écrire peut rimer avec « souffrir », pour des raisons aussi diverses que d'aller au fond d'une vieille blessure ou manipuler des sentiments encore à fleur de peau. Simplement de mettre le doigt sur la bonne ligne, la bonne tournure, ou encore dénicher la « rime qui tue » peut être exténuant. On peut jongler longtemps avec certains aspects. Mais cette « souffrance » est aussi ce qui donne une valeur à ce qu'on produit.
Et lorsque l'on tombe sur la ligne qui se laissait désirer, ou que l'on tient la rime fuyante, écrire se métamorphose alors en un immense plaisir, d'autant plus si la recherche fut longue et ardue. Cela fait aussi partie du jeu, pour le meilleur et le pire.
Lorsque la chanson vient au monde, cela reste, pour re-citer Robert Léger, un sentiment « inégalable : à partir de l'intangible, vient au monde quelque chose de concret et de personnel : une chanson originale et qui ne ressemble qu'à vous ». Et au nom de quiconque l'ayant expérimenté, il n'est pas exagéré de dire qu'il s'agit d'une sensation très, très satisfaisante.
3.9 - Robert Léger, Écrire une chanson, Québec Amérique, 2002, p. 42
« Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage. » Si vous ne l'avez pas entendu mille fois, celle-là, c'est que vous avez vécu sous une roche. D'une grande justesse, cette ligne immortelle de Nicolas Boileau résume bien le travail de l'écrivain, et par extension, du parolier. Entendre par là qu'écrire n'est pas qu'une affaire de premier jet, et puis c'est fini. Au contraire.
Une attitude que j'ai observé – notamment chez des participants à mes ateliers - veut qu'une fois le premier jet couché sur la feuille, l'on ne doit plus retoucher une seule ligne ou déplacer un seul mot, que tout ce qui s'y trouve est parfait ainsi because les émotions, l'authenticité et l'intensité du moment, sans parler de la pureté de l'acte. Or, si ça peut parfois être vrai, c'est aussi souvent discutable; le travail ne fait vraiment alors que débuter. Croire le contraire équivaut à bouder le plaisir d'écrire, et relève de l'aveuglement ou d'une certaine incapacité ou de laissez-faire, à mon humble avis.
Qu'on se le dise, écrire c'est réécrire. Tout est là. La réécriture est partie prenante de l'acte. Elle est vitale au créateur, poursuivant sur sa lancée. C'est ce qui nous permet, à tête reposée, tant de se relire et de développer une image ou une ligne percutante que d'approfondir un thème, de couper des redondances, de chasser un cliché ou de trouver une manière plus swinguante de formuler les choses.
Réécrire, c'est avoir les mains dans la pâte à modeler et façonner nos lignes à notre image et à notre ressemblance. Rien de plus décevant que de lire un auteur dont l'ouvrage semble inachevé, que l'on corrige au fur et à mesure en relevant les occasions ratées de décupler le langage, d'exploiter au maximum les figures stylistiques qui auraient pu faire mouche.
C'est abandonner son lecteur/auditeur en chemin que de le laisser « libre de comprendre ce qu'il veut » de notre brouillon, en négligeant des détails ou la continuité de l'histoire, par exemple. Ça n'est pas à l'auditeur de finir le travail de l'auteur indulgent envers lui-même, à moins d'aimer se sentir dans le brouillard.
On s'entend, un premier jet le plus intense, le plus unifié possible est éminemment souhaitable et désirable. Un premier jet nécessitant peu de retouches est toujours le nirvana du parolier, et ça a de meilleures chances d'arriver chez celles et ceux qui cultivent leur jardin et écrivent régulièrement, puisqu'ils deviennent des canaux pour leur imagination en se rendant disponibles fréquemment. Je parle ici d'un état de grâce avec la plume ou le clavier, et on le sent lorsque l'on baigne dedans. Mais cela n'arrive pas cent pour cent du temps, peu s'en faut... Pour une grande portion des auteurs, écrire exige encore et toujours sueur et labeur. Parlez-en à Francis Cabrel, pour qui l'écriture de chanson est un labeur. D'amour.
Ne vous méprenez pas; votre texte, accouché fiévreusement dans l'inspiration n'est pas forcément exempt d'un minimum de révision et de réécriture si vous souhaiter développer votre style. Y mettre la forme et forger sa griffe relève d'un travail assidu. Un travail d'auteur.
« Autant de fois qu'on jugera pouvoir faire mieux. […] Les amis de [Blaise] Pascal ne comprenaient pas qu'il fut mécontent d'un morceau écrit quatre ou cinq fois. Ils se demandaient comment on pouvait faire aussi bien, tandis que Pascal savait comment faire mieux. Toute la question est là. »
Dans un traité portant sur les méthodes de travail, les ratures et les réécritures des immortels de la littérature française, « Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains », (3.10) Antoine Albalat illustre parfaitement la place que doit occuper la réécriture chez tout auteur prenant l'acte d'écrire au sérieux. Bien sûr, ne pas réécrire du tout est toujours une option, mais vous aurez compris que je n'en suis pas un chaud partisan, surtout pour l'apprenti. Le métier venant, c'est autre chose. Néanmoins, ce qui vaut pour les plus grands le vaut aussi pour les amateurs. Voici ce qu'Albalat livrait comme observations dans la section « Le travail et le naturel » du chapitre II:
« Pour la première rédaction, chacun a sa méthode. Il en est qui achèvent d'une haleine, quitte à revenir. D'autres ne s'avancent qu'avec lenteur et refont la page dès qu'elle est finie. On ne peut rien conseiller là-dessus, La méthode importe peu; ce qui s'impose, c'est la nécessité de refaire. En vain s'insurge-t-on contre cette vérité : un style n'est bon que s'il est refait. Le premier jet est plus ou moins voisin de la banalité. On est pressé d'écrire, on n'a pas le temps de chercher, la plume vole, on court au plus facile, et c'est la banalité qui se présente d'abord. »
Je nuance : écrire sous un sentiment d'urgence dans le but d'avoir de la matière à chanson est capital pour un auteur. Mais il est aussi vrai que la banalité soit souvent au rendez-vous durant la première étape de production d'un texte. D'où l'importance de développer un œil critique, d'avoir des modèles d'auteurs et de chansons inspirants pour tirer davantage de notre plume, et de sentir que l'on peut faire mieux en bout de ligne.
L'objectif est de ressentir une urgence à s'exprimer, sous le coup d'une émotion forte procure habituellement une décharge énergétique et émotive qui se rendra, idéalement, jusqu'à l'autre. Par contre, c'est loin d'être toujours ainsi. D'où l'intérêt de développer un minimum de technique pour parer à la panne d'inspiration. D'où la nécessité aussi de se relire à froid une fois l'effervescence retombée, et de relever ce qui fonctionne encore à tête reposée, mais surtout ce qui tombe désormais à plat. C'est un réflexe fort utile à développer.
Toujours à ce propos, Albalat ajoute : « Il est rare qu'une première rédaction soit satisfaisante, même quand l'inspiration déborde, parce qu'elle est précipitée, parce qu'on n'a pas le temps de réfléchir ni de choisir l'expression, et qu'on est alors beaucoup plus capable de tout dire que de tout bien dire. Il suffit de tenir une plume pour sentir cette vérité. Même la refonte immédiate n'est pas toujours bonne. […] Le recul est nécessaire : il est indispensable de laisser refroidir son style. » Puisqu'au final il est beaucoup question de ça, en chanson, le style.
Avec le temps, de l'expérience et une méthode qui vous sera propre, des lignes à votre style couleront de source, si ce n'est déjà fait. Mais dans le cas ou une certaine insatisfaction persiste, vous gagnerez à faire preuve de patience et d'indulgence à votre égard. Rappelons-nous de la règle des dix mille heures de travail pour développer une expertise.
Luka
Suzanne Vega illustre bien la longueur de temps que le processus créatif peut parfois prendre, comme dans le cas de sa chanson à succès Luka. (3.11) À la question : « Concevez-vous vos chansons en complétant d'abord le texte avant d'attaquer la musique? » l'artiste répond ceci :
« Je ne dirais pas que je n'ai qu'une seule façon de procéder. C'est qu'habituellement, ça vient ensemble. Ça débute d'abord par une idée, un titre qui arrive en premier, et par la suite j'essaie des lignes différentes qui fonctionnent plus ou moins et qui peuvent parfois prendre des mois avant de s'assembler et de tomber en place.
Ç'était ainsi pour Luka. J'ai retourné ça dans mon esprit des mois de temps pendant que je m'occupais à faire autre chose. C'est comme un problème à résoudre, sur lequel mon esprit planche. Ça mijote. Tu cherches le bon angle, et lorsque tu le trouves, la chanson peut s'écrire en deux heures. Luka m'a pris deux heures à écrire. Ça a demandé des mois de réflexion avant d'aligner la cible, si je puis dire. C'est comme jouer au billard, tu alignes le tout, tu frappes une boule et la table se vide. C'est très satisfaisant, mais ça demande des mois de préparation. »
3.10 - Antoine Albalat, Le travail du style, Armand-Collin, 1953
3.11 - Suzanne Vega, Songwriters on songwriting, Paul Zollo, Da Capo, 2003, p. 568
Comme une image vaut mille mots, laissez-moi vous raconter une anecdote personnelle. Je n'oublierai jamais le moment où j'ai vécu une situation ayant mené à une chanson, pendant un voyage en autobus à Montréal.
À un arrêt de la ligne Van Horne, en direction ouest et ce par une agréable soirée de printemps, monte à bord une magnifique jeune femme à la longue chevelure ondulée noire, aux yeux pers magnétiques, blouson de suède sur le dos, jupe paysanne blanche à motifs et bottes de cowboy aux pieds. Une splendeur.
N'en croyant pas mes yeux, je l'ai suivi discrètement du regard jusqu'à ce qu'elle prenne place en biais devant moi, sur un banc parallèle à l'arrière du bus. Mon cœur a sauté un temps : disons que je vivais fort le moment présent.
Prenant conscience que je la dévisageais, j'ai tourné la tête et c'est à ce moment que j'ai constaté que la demi-douzaine d'hommes assis à l'arrière du bus la dévisageait tout autant que moi! En une micro-seconde, par instinct et par empathie, je me suis glissé dans les souliers d'un amoureux imaginaire et la ligne « tout le monde aime ma blonde » s'est imposée d'elle-même. Heureusement que j'avais sur moi de quoi la noter; à ce jour, je reste fier de cette trouvaille, qui figure parmi mes préférées.
Cette anecdote est ma contribution pour illustrer le principe de l'observateur du quotidien. Ce réflexe d'être aux aguets d'une bonne idée vient d'un entraînement quotidien à chercher l'angle et la formulation, à trouver l'image qui parle et qui ramasse en une ligne bien ciselée une situation, une émotion, un moment. Qui vise à cultiver un swing, une musicalité dans le phrasé. À structurer un propos, une mise en scène de personnages au cœur d'une situation et rendu d'une manière visuelle et auditive. Bref, à penser chanson.
L'observateur du quotidien possède un rapport particulier avec sa réalité et voit des histoires là où d'autres n'y prêtent attention, que ce soit de la vie de tous les jours, ou dans une oeuvre de fiction qui lui inspire une situation reconnaissable.
C'est le rôle du parolier que de rapporter ces histoires et d'y insuffler la vérité nécessaire pour donner la vie à un comportement universel et reconnaissable dans une situation reconnaissable, comme de retrouver La rue principale (4.1) de son village natal défigurée et désâmée, suivre un junkie voleur de Bouddha dans L'antiquaire (4.2) de Jean Leloup, raconter la vacuité et la superficialité du Noceur (4.3) de Francis Cabrel, ou encore l'amoureuse lucide de J'ai oublié le jour (4.4) de Beau Dommage, qui apprécie la simplicité et l'écoute de son amant d'un jour : [J'vais toujours me rappeler / qu't'as pas essayé d'm'impressionner.]
Au moment d'écrire, vos personnages gagneront en authenticité si vous êtes en mesure d'associer un visage à une émotion définissable dans votre esprit. Cela ajoutera de la substance et une crédibilité narrative supplémentaire à ce que vous souhaitez partager.
Paul McCartney a pondu She's Leaving Home (4.5) après être tombé sur une manchette de journal qui rapportait la fugue d'une jeune fille de 17 ans qui étouffait chez ses parents. Le point de vue des parents, tel que rapporté était essentiellement : « Mais nous lui avons tout donné », mettant en lumière le fossé entre les générations.
La manchette de départ aura servi à McCartney de prétexte pour déclencher en lui une idée si forte qu'il sentit le besoin d'en faire une chanson. À noter que le FBI rapportait quelques 90 000 fugues d'adolescents en 1967. (4.6) Dans la chanson, le rendez-vous de la jeune fille avec un amoureux vendeur d'automobiles de son métier illustrait son besoin de liberté et de s'épanouir.
À quelques détails près, l'histoire imaginé par McCartney donnait un portrait exact de la situation de la fugueuse : « Ce qui était incroyable de la chanson est à quel point cela était fidèle à ma vie » confiait Melanie Coe, la jeune fugueuse, en entrevue. (4.7) Les seuls points divergents, note-t-elle : elle rencontrait un croupier de casino et non un vendeur d'automobile, et elle a filé en douce un après-midi alors que ses parents travaillaient, et non pas le matin à l'aube. Mais la véracité du fond de l'histoire, son besoin d'indépendance et de liberté, ses motivations à fuguer étaient, comme on dit, dans le mille.
Je laisse la parole à Keith Richards des Rolling Stones qui, comme Paul McCartney, en connaît un rayon en chanson et qui s'exprime sur le sujet dans sa biographie « Life » (4.8) de 2010 :
« Quand tu joues tous les jours, parfois deux ou trois fois par jour, tu débordes d'idées. […] C'est totalement subconscient, ou inconscient. Le radar est allumé, que tu le veuilles ou non. Tu ne peux pas l'éteindre. Tu entends un fragment de conversation à l'autre bout de la pièce : « I just can't stand you anymore... ». Bingo, c'est une chanson. Tu absorbes tout.
« Et l'autre chose, quand tu commences à écrire, quand tu t'aperçois que tu es devenu un compositeur, c'est que pour trouver des munitions tu commences à observer, à prendre tes distances. Tu es tout le temps sur tes gardes. C'est une faculté qui s'aiguise au fil des ans : observer les gens, comment ils sont, ce qu'ils font. […] Tu observes autour de toi, tout peut être le point de départ d'une chanson. Une phrase banale devient une idée. Et tu te dis : « J'arrive pas à croire que personne n'y ait pensé. » Heureusement, il y a plus de phrases que de chansonniers, globalement. »
4.1 - La rue principale, Les Colocs, Les Colocs, BMG, 1993
4.2 - L'antiquaire, Jean Leloup, L'amour est sans pitié, Audiogram, 1990
4.3 - Le noceur, Francis Cabrel, Samedi soir sur la terre, Columbia, 1994
4.4 - J'ai oublié le jour, Beau Dommage, (Robert Léger) Où est passée la noce?, Capitol, 1975
4.5 - She's leaving home,The Beatles, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, Capitol, 1967
4.6 - Steve Turner, The Beatles : A hard days write, MJF Books, 1994, p. 199
4.7 - Citée par Steve Turner dans The Beatles : A hard days write p. 199 Trad. libre
4.8 - Keith Richards, Life, Robert Laffont, 2010, p. 215
Soumis par Pierre le 17 juillet, 2016 - 15:52.
L'immense majorité des auteurs et interprètes cherchent à communiquer des mots du quotidien, simples et faciles à chanter et à retenir à l'oreille pour monsieur-et-madame-tout-le-monde. Des mots agencés pour leurs valeurs rythmiques, sonores et signifiantes. Chaque syllabe, voyelle et consonne auront été soupesées, au final.
Vous ferez ces choix pour le son, le sens et la rétention du texte. N'oubliez pas que vous écrivez tant pour vous-même et pour les autres, dans le but de communiquer des émotions reconnaissables et qui colleront dans l'oreille de tous, allant du « vrai monde » aux professionnels du métier.
Au moment d'entamer ce texte, le hasard a voulu que j'attrape au vol la primeur radiophonique de la pièce L'Ascenseur de Louis-Jean Cormier. Quel plaisir de tomber sur un texte bien ficelé, signifiant et fluide, qui n'accroche à aucun endroit dès la première écoute.
Certains repères sont utiles pour apprécier la réussite d'un texte, dont l'intelligibilité, la fluidité, et la musicalité.
Sèches tes pleurs (4.9) de Daniel Bélanger, est une petite affaire de trois couplets (AAA) racontant le désarroi d'un narrateur observateur impuissant devant l'affliction d'une jeune fille résolument inconsolable. Cette façon de faire, en ne donnant que l'information nécessaire et dans un ordre narratif précis, est un classique. On est curieux de connaître la suite jusqu'au dernier mot, qui révèle le lien entre le narrateur et l'inconsolable [affluent de la mer Noire], comme il la surnomme.
L'orange 4.10
Comme je disais précédemment, votre constance envers la plume est garante de votre engagement, et vos résultats seront à l'avenant, ne serait-ce que par l'assiduité que vous y consacrerez. Des heures de la journée plus propices pour écrire, de la régularité, un endroit pour vous isoler au besoin, l'habitude de relever et de noter les lignes qui vous allument afin de vous en nourrir; tout cela crée des conditions propices à la créativité.
Certains mettront du temps à démarrer ou figeront devant une page blanche, ce qui arrive à tous. Pour ma part, j'essaie de dédramatiser la panne d'inspiration en m'accordant une période de « réchauffement », en gribouillant librement sur la page, en invoquant les muses grâce à l'écriture automatique, en repassant sur des lignes que j'ai déjà jeté par écrit, ou d'autres qui m'interpellent et me trottent dans la tête; bref, je me donne une chance et de l'espace.
Pierre Delanoë, parolier fétiche de Gilbert Bécaud, décrivit dans « Comment écrire une chanson » (4.11) de quelle manière est apparue l'étincelle ayant mené à L'Orange: « Gilbert me regardait tourner en rond. Au bout d'un temps assez long, il me lança: « Dis quelque chose, n'importe quoi, un mot. » Sans réfléchir, je répondis « orange ». Je me demandais quoi faire de cette orange, l'éplucher, la manger n'était ni poétique, ni passionnant. Alors la voler, ça c'était dramatique et de fil en aiguille, « L'orange » devint une chanson anti-raciste, qui fit les beaux jours du chanteur, et n'est pas encore démodé. »
Moralité de l'histoire: ne pas désespérer devant une feuille blanche pour se donner une chance de créer. Lancez-vous et faites progressivement contact avec vous-même, à votre rythme, lentement mais sûrement. En dépit de ce que vous pourriez croire du processus créatif, il n'y a pas de miracle; que du labeur savamment préparé.
4.9 - Sèche tes pleurs, Daniel Bélanger, Les insomniaques s'amusent, Audiogram, 1992
4.10 - L'orange, Gilbert Bécaud, (Pierre Delanoë/G. Bécaud), EMI, 1964
4.11 - Pierre Delanoë, Comment écrire une chanson, Paul Beuscher éditeur, 1988
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Soumis par Pierre le 17 avril, 2009 - 15:04.
En observant vos semblables, vous voudrez vous positionner et déterminer un angle, un point de vue, une façon de trouver à dire sur tout et sur rien.
Quelle sera votre approche quant au thème qui vous tient à cœur? En parlerez-vous à la première personne, avec un [je] bien assumé? À moins que ce [je] ne soit déguisé à la deuxième personne, par un [tu] distancié ou protecteur? Ou, comme pour Le noceur de Cabrel, peut-être garderez-vous un détachement en racontant votre histoire à la troisième personne, comme un narrateur omniscient ayant accès aux cœurs et aux pensées les plus intimes des protagonistes, ou pour se distancier et se livrer plus franchement?
Le choix du pronom est une décision à prendre dans le traitement de votre émotion. Cela peut être instinctif comme ça peut aussi devenir un geste très conscient. Rien ne vous empêche de tenter des expériences, de changer volontairement le point de vue d'une mise en scène établie, ce qui peut amener un regard frais sur cette idée qui vous turlupine : dans quel lieu l'histoire se déroulera-t-elle? Ce [je] qui s'exprime, il interagit avec qui, à quel moment de la journée, sous quel prétexte? Ce [tu], qui vise-t-il? S'adresse-t-il à moi ou se veut-il général? Est-ce que ça fait une différence? Et ce [je], s'il devenait [il] ou [elle], quelle nouveau regard cela me procurerait-il...?
Bref, le pronom vous permettra de braquer votre caméra d'un certain angle, qui reflétera une perspective. Notez que j'utilise des termes du langage cinématographique, qui illustre parfaitement le genre de décision à prendre, puisque la chanson est un petit film qu'il vous faudra mettre en scène.
Toutefois, on peut facilement se mêler les pinceaux si l'on ne fait pas gaffe. Un pronom doit toujours faire référence au dernier sujet précédemment cité dans la phrase, et conserver le même lien logique avec ce référent. [Lui, il t'observe du coin de l'oeil / Toi, tu t'énerves dans ton fauteuil (…) / Et moi dans mon coin / Si je ne dis rien / Je remarque toutes choses […] en voyant venir la fin] raconte Charles Aznavour dans Et moi dans mon coin (4.12), une triste complainte de [...l'amour [qui] change de main] entre l'interprète qui assiste impuissant à la scène, et son amoureuse qui flirte ouvertement avec [Lui]. Aznavour conservera rigoureusement les mêmes pronoms pour les mêmes personnages tout au long du morceau. D'une grande simplicité, et amplement suffisant pour une chanson de trois minutes.
4.12 - Et moi dans mon coin, Charles Aznavour, De t'avoir aimée... Barclay, 1966
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