Soumis par Pierre le 19 juin, 2011 - 23:17.
Pour les quarante ans du groupe en 2007, les Doors (Elektra/Rhino) ont eu la brillante idée de remettre à jour le son de tous leurs albums de studio en les remixant et les remastérisant, donnant ainsi un formidable coup de jeune au son du groupe, à un point tel qu'il ne sert plus à rien, d'après moi, de revenir aux mixes d'origine. Ça serait comme apprécier les écouter avec les mains sur les oreilles; qui veut ça?
Comme j'en ai parlé ailleurs sur ce site, le son d'ensemble respire et semble décloisonné; tout est plus distinct. Chaque instrument est facilement audible et semble moins compressé. On se sent davantage derrière la vitre, dans le studio, avec le groupe devant soi. Il n'y a qu'à se fermer les yeux pour les entendre et les imaginer dans toute leur puissance originelle, pour qu'ils renaissent via la précision numérique de notre époque.
D'entrée de jeu l'ingénieur Bruce Botnick, qui a enregistré tout le corpus du groupe, le précise dans les livrets inclus: « Nous souhaitions faire entendre aux fans et au public ce que nous entendions sur les rubans en studio ».
Tout au long des six albums il y aura ainsi des trouvailles dans les arrangements, laissées pour compte à l'époque: ici une finale plus longue, là une intro inédite, ou un couplet de plus dans une autre. Il y a définitivement de la substance dans toute cette réédition; ça n'est pas juste une énième opération de marketing du groupe.
Les livrets regorgent donc de détails sur l'équipement utilisé à l'époque et pour les remixes, mais aussi d'anecdotes de sessions, de photos, et témoignent des corrections effectuées dans la remise à jour des albums.
Oui, corrections il y a eu, et c'est pour ça que les mixes originaux deviennent caduques, moins intéressants. Les albums 2007 des Doors ne sont pas ceux du temps de vos parents, comme on dit...
L'ingénieur Botnick, par exemple, raconte comment on a porté à son attention le fait que la version de l'album de Light My Fire jouait plus lentement depuis toujours en comparaison de la version du 45 tours, qui elle, tourne à la bonne vitesse.
Comment sait-on cela? À l'oreille, il est ardu de repiquer « Light My Fire » puisqu'il faut la jouer en La bémol mineur 7 alors que la partition indique un La mineur 7, soit un demi-ton plus bas, ce qui en complique l'exécution. Pour l'explication (technique), elle se trouve dans le livret.
Mais c'est ce genre de détail qui est corrigé dans les rééditions.
En guise d'amuse-gueule toutefois, je vous invite à savourer ce montage endiablé sur ce remix de Break On Through, ma foi, pas ennuyant du tout...
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Soumis par Pierre le 19 juin, 2011 - 23:49
Enregistré fin août, début septembre 1966, la disposition du son du groupe sur l'album est restée identique, soit: la batterie de John Densmore et la basse à droite, Ray Manzarek et Robby Krieger à gauche, et Morrison au centre. Pour ça, il semble que l'on n'y puisse rien, premiers pas de la stéréophonie obligent. Mais c'est un point de détail qui s'oublie vite.
L'album fut enregistré sur un 4 pistes, avec réductions sur un second 4 pistes et certains effets furent enregistrés simultanément à la prise, because les limitations techniques. On entend quand même tout plus clairement, et on ne rate plus rien des impulsions vocaliques ( pour ne pas dire volcaniques? ) de Morrison.
« Break On Through »: les segments censurés « She gets » laissent la place à des « She gets high » qui ont plus de sens; réapparus depuis le coffret « Perception » sorti en 1997 pour être exact. N'empêche, ça donne le ton.
« Light My Fire » a gagné en secondes et en dynamisme; la première fois qu'on la réentend, c'est clair, elle joue plus rapidement. La version de l'album est maintenant au même tempo que celle du 45 tours.
« Back Door Man »: Morrison, plus animal que jamais, occupe tout l'espace.
« The End »: c'est la version entendue depuis « Apocalypse Now », avec encore plus de clarté au niveau de la voix. Tout y est, et les paroles explicites et autres mots de quatre lettres figurent même dans le livret.
Le producteur Paul Rothchild y est également cité, racontant les frissons ressentis durant l'enregistrement de la pièce, et sa vive impression de vivre une grand moment de l'histoire du rock. Deux prises auront suffit; la première moitié de la prise 1, à laquelle on a adjoint la seconde partie de la prise 2 débutant avec « The killer awoke before dawn... », la magie opérant les deux fois.
Pièces bonis: deux démos de « Moonlight Drive », mais qui n'ont pas encore la définition qu'elle aura sur l'album suivant.
La surprise reste, à mon avis, la présence de « Indian Summer » comme troisième pièce boni, que l'on retrouvera sur le Morrison Hotel de 1970. Elle aura dormi sur les tablettes trois années complètes, et servira de rappel du son d'origine sur leur cinquième album. Un reliquat enregistré le 19 août '66, la toute première enregistrée par le groupe, et une surprise de taille quant à moi.
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Soumis par Pierre le 20 juin, 2011 - 18:21.
Strange Days (sortie: 25 septembre '67, enregistré de février à août '67)
[Strange Days have found us / Strange days have tracked us down]. L'écho sur la voix de Morrison est hantée comme jamais et témoigne des possibilités qu'entrevoyait le groupe en retrouvant le studio dans le courant de l'année '67, surtout que celui-ci était dorénavant doté d'un huit-pistes, ce qui simplifiait de beaucoup l'organisation du travail en studio.
C'est à l'écoute de la copie promo appartenant à Bruce Botnick de « Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band » des Beatles, que le groupe, le producteur Rothchild et l'ingénieur Botnick prirent la décision de s'en inspirer sans chercher à le pasticher.
Le groupe, n'étant plus des novices en studio, fignola sous la direction de Paul Rothchild des arrangements percutants (Strange Days, Moonlight Drive, When The Music's Over) ou tout en nuances (You're Lost, Little Girl, I Can't See Your Face In My Mind), se renouvellant avec l'aide de la technologie (du Vox Continental au Moog, en passant par le clavinet et le piano trafiqué, et allant jusqu'au marimba) ou par des techniques d'enregistrement novatrices pour l'époque (rubans et partitions joués à l'envers). Ils usèrent aussi d'une chambre d'écho très particulière et exclusive au studio.
Le son du groupe gagna aussi en profondeur grâce à l'ajout de Doug Lubahn à la basse, autrement de Clearlight, un groupe signé sur Elektra dont Paul Rothchild était également producteur.
Strange Days est certes l'album le plus abouti du groupe. Vu la source citée plus haut, on y sent une influence certaine des Beatles et de leur « arme secrète », leur audacieux nouvel ingénieur de son Geoff Emerick depuis « Revolver ».
Ensuite, on sombre dans la langueur psychédélique de You're Lost Little Girl, thème inspiré du poème de William Blake « Little Girl Lost ».
Les racines blues du groupe reviennent au galop dans Love Me Two Times via le jeu de guitare de Krieger qui s'entremêle dans les arpèges du clavinet de Manzarek, et qui déjà témoigne de la dette immense du groupe envers John Lee Hooker tant dans le son que dans le feeling bluesy du groupe.
Moonlight Drive trouve enfin sa place dans le corpus du groupe sur ce qui était alors la dernière pièce de la face A du vinyl, et donne à entendre un arrangement final beaucoup plus relevé et punchy que sur tous les démos précédents depuis celui de Rick & the Ravens.
Une nouvelle piste de clavinet apparait sans avertissement à 0:42 de la pièce, ajoutant aux surprises saupoudrées au fil des pièces. Plusieurs pistes d'instruments ainsi disparues au mixe final d'origine refont surface.
D'une part, Paul Rothchild forme le groupe à viser la perfection dans l'exécution, et il joue un rôle de premier plan dans le processus créatif du groupe en studio en les poussant à se dépasser.
D'autre part, Morrison a compris, à 2:22, qu'il vaut mieux faire lever la pièce en allant chercher la note la plus haute, ce qu'il ne faisait pas sur les démos précédents.
Plus loin, My Eyes Have Seen You gagnera une dizaine de seconde grâce à une finale allongée. À la toute fin de When The Music's Over on entend un Morrison bien sage qui propose de refaire une nouvelle prise...
Autres bonis de Strange Days: les quelques faux départs de People Are Strange, anecdotiques sinon pour témoigner du travail en studio avec Rothchild. Par contre Love Me Two Times (prise 3) avec Ray Manzarek au Vox vaut le détour pour entendre le groupe live dans des conditions de studio.
L'année '67, déjà riche musicalement, aura offert les facettes brut et raffinée des Doors à leur apogée, dans une ambiance psychédélique s'assombrissant, et annonçant les turbulences sociales de 1968.
La critique de Strange Days du Rolling Stone de novembre 1967.
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Soumis par Pierre le 21 juin, 2011 - 15:30.
Waiting For The Sun (paru en juin '68, enregistré de février à mai '68)
L'album qui devait contenir la pièce amirale de l'imaginaire reptilien de Morrison (l'épique
Celebration of the Lizard) et poursuivre leur lignée de longues pièces dramatiques fut au finish autre chose complètement. Insatisfait de sa performance de la pièce en studio, le groupe la mis sur la glace, non sans un certain désenchantement de la part du chanteur.
En est toutefois resté la très intense et aliénante Not To Touch The Earth - le coeur de la pièce théâtrale, qui contenait aussi la courte Go Insane, présente dès les tous premiers démos.
elebration of the Lizard fut joué sur scène en une poignée d'occasions. Le sujet traite essentiellement du retour à une manière de vivre primitive et plus libre, avec le chaman au coeur de l'expérience.
Furent d'abord enregistrés, vers la fin de '67, The Unknown Soldier, suivi de Spanish Caravan. La face B du single The Unknown Soldier était We Could Be So Good Together, une pièce de la première heure.
Le groupe sorti finalement un album mi-chair mi-poisson aux yeux de certains critiques à l'été '68, ce qui ne l'empêcha pas de devenir no. 1 rapidement. Le groupe essuya aussi une volée de bois vert pour la forte ressemblance de Hello, I Love You à All Day And All Of The Night des Kinks. Il est vrai que comparativement aux deux premiers albums, on sent cet album moins unifié, comme si le groupe se cherchait.
De un, le pool des chansons de Morrison s'épuise; on utilise des pièces restées en plan (Summer's Amost Gone, We Could Be So Good Together, Hello I Love You), et Robby Krieger contribue avec des ballades (Spanish Caravan, Wintertime Love, Yes, The River Knows) qui donnent une ambiance plus tranquille et une tendance plus « variétés » à l'ensemble.
De deux, cela coïncide avec le début de l'alcoolisme de Morrison, qui arrive bourré au boulot de plus en plus souvent. Il gère sa soudaine célébrité - et la pression qui vient avec - du mieux qu'il le peut, c'est à-dire mal...
Les points en faveur : certaines pièces frappent fort (Five To One, The Unknown Soldier, Not To Touch The Earth, Spanish Caravan...) et les textes sont considérés comme étant d'une bonne cuvée.
Les trouvailles:
Hello, I love you : une voix annonce : « Two minutes » avant que John Densmore ne donne le coup d'envoi à ce qui sera leur second numéro 1. Pareil à Moonlight Drive, le relief de l'arrangement transforme encore une fois une pièce autrement bien linéaire en succès commercial. Dans ce remixe, la définition est impeccable et on entend maintenant clairement Ray Manzarek doubler la voix de Morrison sur la droite. La finale s'allonge de plusieurs secondes, avec un Morrison qui exulte dans le fade-out. On a gagné un bon trente secondes de musique de plus.
Love Street: un siffleur accompagne Morrison à la fin de sa ballade.
Not To Touch The Earth: une voix off à la toute fin du morceau (Rothchild?) donne son avis sur la prise.
Summer's Almost Gone: la découverte d'une piste mélodique en contre-point descendant dans l'intro est un moment de pur bonheur. Incroyable que ça n'ait pas été conservé au mixe final; peut-être a-t-on trouvé que ça alourdissait l'entrée en matière?
Spanish Caravan: la définition des effets à la fin de la deuxième minute, tel un sirocco démentiel, est saisissant.
Et à la fin de Five To One , un Morrison fier d'annoncer le retour à la programmation habituelle.
Les pièces en boni sont:
- la complétion de l'Adagio en Sol mineur d'Albinoni (entendu sur « An American Prayer » ) qui selon les notes du livret, a pris trente-et-un ans à terminer;
- des dialogues menant à deux prises de Not To Touch The Earth, dont la première incomplète; on compose dans le studio, visiblement;
- et enfin, la version de « Celebration of the Lizard » en work-in-progress capté par l'ingénieur Botnick en l'absence de Rothchild. Il s'agit bien de la même pièce que l'on découvrira sur Absolutely Live éventuellement, en moins bien rodé ici. Mais tout est là.
Il est fascinant de constater à quel point le groupe appliquait le dicton « une bonne improvisation est une impro préparée »; sauf pour quelques détails musicaux, rien n'est laissé au hasard et le texte semble passablement coulé dans le béton à cette étape.
La pièce qui donne son titre à l'album, « Waiting For The Sun », sera laissée de côté, débutée en mars '68 et incomplète; elle ne paraîtra que deux albums plus tard sur Morrison Hotel.
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Soumis par Pierre le 21 juin, 2011 - 17:15.
The Soft Parade (paru juin '69, enregistré de juillet '68 à mai '69)
1969 ne sera pas de tout repos pour les Doors. De plus en plus imbibé parce que de moins en moins bien dans sa peau, Jim Morrison cherche à évoluer et à casser cette image de « jeune lion » à laquelle il regrette d'avoir contribué et qu'il commence à trouver pesante. Cela, ainsi que le Living Theater alimente alors sa démarche créative, et mèneront vers la débâcle du spectacle de Miami, et ses répercussions sur le reste de leur carrière.
Les spectacles prévus s'annulant l'un après l'autre, le studio devint alors le point de ralliement du groupe, qui perdra un gros million de dollars dans la tournée américaine qu'ils entamaient ce soir-là à Miami; ce qui explique en partie la durée interminable de l'enregistrement de l'album. L'autre partie de l'explication, c'est que le groupe, n'ayant désormais plus de chansons devant lui, compose dans le studio.
Résultat? Un album mitigé, avec d'un côté les titres de Morrison qui tiennent pourtant bien la route dans l'esprit et le son du groupe, et de l'autre les titres signés Krieger sur lesquels le groupe ajoute des arrangements de cuivres et de cordes et qui déstabiliseront les fans du groupe. Dans le contexte des événements en cours, disons que cela n'aide pas leur image.
Comment sait-on de qui sont les chansons? Les crédits de composition seront désormais clarifiés, Morrison inconfortable envers la ligne d'ouverture de Tell All The People : [Tell all the people that you see / to follow me down], lui qui trouve sa célébrité bien lourde à porter. Les morceaux, qui étaient alors signés collectivement seront personnalisés subséquemment pour les textes.
Rien de très énervant quant aux nouveautés sur cette réédition, sauf évidemment pour un prélude en mineur qui ouvre dorénavant The Soft Parade et qui dure plus de trente secondes. Chantée par Morrison sur un accompagnement minimal, ce prélude ajoute une nouvelle séquence dramatique à une pièce reconnue pour sa structure déjà baroque.
Les multiples voix de Morrison sont aussi beaucoup plus distinctes, et se démarquent davantage dans la dernière partie qui démarre à [This is the best part of the trip (...) the one I really like]. Le basson qui double la ligne de basse dans cette section est davantage audible et ajoute une autre texture à l'ensemble. Une finale allongée de près d'une minute termine un album mal-aimé, qui n'est pas sans intérêt, mais qui reste symptomatique du désarroi du groupe dans la tourmente des événements que l'on sait.
L'ensorcelante Who Scared You, parue à l'époque sur la compilation Weird Scenes Inside the Gold Mine de 1972, figure parmi les pièces supplémentaires, et la seule signée par Morrison à faire usage de cuivres.
Deux versions de « Whiskey, Mystics and Men » (signée Morrison/Doors) sont aussi au menu, la version 1 davantage produite que la 2 qui est une prise live en studio avec un Morrison inspiré et imbibé.
Push Push est un jam bon enfant dont le texte se résume à des « Push push push » de Ray Manzarek qui mène le bal au piano; le jupon latin du groupe dépasse ici.
La prise 3 de « Touch Me » en guise de conclusion s'ouvre par une question de John Densmore qui s'inquiète d'avoir déplacé le micro de sa caisse claire, pour se faire dire que non, tout est bien finalement. Par la suite, on a droit à une prise légèrement plus longue que la version classique, similaire mais pas parfaitement exécutée - et l'on connait l'importance que Paul Rothchild accordait à l'exécution - avec cuivres et violons toujours, mais avec davantage de présence du clavier de Manzarek. Le coda s'allonge et s'étire et donne à montrer l'allure de la finale qui, une fois passé au bistouri du montage, ramènera la pièce au 3:12 classique.
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Soumis par Pierre le 21 juin, 2011 - 20:21.
Morrison Hotel (sortie février '70, enregistré essentiellement en novembre '69).
Un mois aura suffit à coucher le cinquième album studio du groupe qui retourne à une simplicité salutaire après le demi-échec de l'album précédent. Un retour en forme qui est bien accueilli par les critiques et le public, l'album se hissant jusqu'au #4 sur le palmarès des ventes.
Un retour aux sources donc, avec prédominance du blues après des mois de circonvolutions orchestrales. Les Doors regagnent de la crédibilité. Ils retrouveront aussi le chemin des arénas progressivement et accumuleront des prises en spectacle pour préparer l'album Absolutely live.
Roadhouse Blues ouvre désormais avec une couche supplémentaire d'harmonica bien baveuse de John Sebastian, ex-Lovin' Spoonful et pote du producteur Rothchild, qui officie sous le pseudo de G. Puglese.
Ce qu'on a fait ici est bien simple, on n'a eu qu' à amener à l'avant la deuxième piste d'harmonica, celle enfouie dans le mixe original. Efficace.
Dans l'ensemble du nouveau mixe, on aura droit à davantage de présence et de morrisoneries, soit dans Waiting For The Sun, You Make Me Real et The Spy.
Indian Summer, qui était de la réédition de l'album éponyme et enregistrée en 1966 sort enfin du tiroir, rechantée pour l'occasion. Son positionnement est stratégique et apaisant après trente quelques minutes de furieuse cavalcade, ouvrant le chemin à la huileuse Maggie M'Gill.
Encore une fois, les paroles sont puissantes:
[Illegitimate son of a rock 'n roll star (...) / Mom met dad in the back of a rock 'n roll car (...) Well I'm an old blues man / And I think that you understand / I've been singing the blues ever since the world began]
La fournée de pièces supplémentaires est sûrement la plus généreuse des rééditions de 2007. On a droit à rien de moins que huit différentes prises totalisant vingt-huit minutes (!) de Roadhouse Blues, illustrant sa construction sur deux jours, et leur méthode de composition en studio parsemée de nombreux jams sessions.
On sent la différence entre le jour 1 ( piste 13: prises 1 à 3 ) et le jour 2, ( piste 18: les prises 13 à 15 de la journée) ou tout indique que l'on touche au but.
À remarquer que la litanie « Money beats soul every time » maintes fois invoquée par Morrison est évacuée de la version finale.
Quelques faux départs de Peace Frog / Blue Sunday, une version jazzy et up-tempo de The Spy nous la présente différemment, sans compter la version jazzy de Queen Of The Highway. Le début du « cocktail jazz » qui découragera Paul Rothchild du groupe quelques semaines plus tard.
La durée des suppléments totalise l'équivalent d'un album double, avoisinant les quarante minutes, et témoigne de l'évolution du groupe vers le blues.
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Soumis par Pierre le 21 juin, 2011 - 21:28.
L.A. Woman. Le retour des gros méchants Doors. L'album qui verra leur retour en grâce auprès des fans et des critiques. La rédemption, juste avant la fin. Enregistré dans les bureaux du groupe en novembre '70. L'histoire entourant l'album se trouve sur cette page.
Love Her Madly passe de 3:20 à 3:40, avec une finale qui chauffe.
Cars Hiss By My Window passe de 4:12 à 4:59, et retrouve un quatrième couplet (non concluant?), abandonné au montage à l'époque.
L.A. Woman: introduction atonale de dix secondes de « My Country, 'Tis of Thee ».
You Need Meat (Don't Go No Further); face B de Love Her Madly, paru initialement en 1972 sur
« Weird Scenes Inside the Gold Mine ».
Je laisse le mot de la fin à Jim Morrison: « Pour moi, ça n'était jamais artificiel - ces soi-disant performances. C'était une question de vie ou de mort, une tentative de communiquer, d'inviter plein de gens dans une sphère relevant d'une pensée personnelle. Je ne crois plus que je puisse encore le faire par de la musique et des spectacles. Je n'y crois plus. »
« For me it was never really an act --. those so-called performances. It was a life and death thing: an attempt to communicate, to involve many people in a private world of thought. I no longer feel I can do this through music, through concerts. The belief isn't there.»
- Jim Morrison, CREEM, July 1971.
« For me it was never really an act, those so-called performances. It was a life and death thing. »
Soumis par Pierre le 12 juin, 2011 - 13:09.
Que dire sur le chanteur, parolier et musicien Jim Morrison qui n'ait déjà été dit? Comme des milliers d'autres, j'ai vite été subjugué par son charisme et talent évidents, par son apparente facilité à atteindre les plus hauts sommets de la réussite avec la grâce et la spontanéité du type qui n'a même pas l'air d'y toucher.
Cette impression tire sa source notamment de la biographie « No one here gets out alive », et sûrement aussi de « Jim Morrison au-delà des Doors » de Hervé Muller, que j'ai lu tout deux il y a de ça plusieurs années.
La série « The Doors from the inside », est un document audio de six heures qui repasse sur l'histoire maintenant archi-connue du groupe et que j'ai consulté récemment. La série replace tout le contexte de l'époque, dont aussi les événements sociaux de ces années turbulentes, tout en incluant les commentaires des quatre membres du groupe.
Avec le temps, j'ai appris à questionner certains aspects du mythe romantique du créateur inspiré - qui s'applique à Morrison dans une certaine mesure, soit: la place qu'occupe la « spontanéité » dans la naissance de l'artiste Morrison, ainsi que dans sa démarche artistique et scénique.
En ce qui me concerne ( et j'admets ne pas avoir lu toutes les biographies sur le groupe, peut-être me manque-t-il des infos ) je crois qu'il était beaucoup mieux outillé musicalement qu'il ne l'eut jamais admis.
« Allumé » par la grâce
« Songs just popped into my head » a-t-il déjà dit en entrevue. À la plage de Venice en cet été '65, devant Manzarek il n'a, toujours selon la légende, jamais chanté auparavant. À l'entendre, il a découvert un jour qu'il écrivait et chantait « spontanément » ses propres chansons, et des très bonnes à part ça.
N'avons-nous pas ici un exemple du mythe romantique du créateur visité par l'inspiration, par une créativité « vierge et neuve » pour citer Louis Timbal-Duclaux dans « L'écriture créative » et qui ajouterait: « Ce n'est pas parce qu'on renie ses parents qu'on est né tout seul » - ironique dans le cas de Morrison qui a déjà déclaré ses parents « morts » prématurément. Personne ne vient au monde de la "cuisse de Jupiter", pas même Jim Morrison.
Certaines pistes semblent pointer à un peu plus de préparation artistique de sa part qu'il n'eut admis, et j'ai de la difficulté avec cette « combustion spontanée » artistique. Si l'on peut naître avec une forte tendance créative, on développe néanmoins l'artiste en nous à force de travail. Touutefois, je ne dis pas que Morrison n'a pas travaillé fort, au contraire.
Attardons-nous donc à tester deux ou trois boulons de la légende, juste pour voir.
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Soumis par Pierre le 12 juin, 2011 - 16:49.
Si l'oeuvre et la légende des Doors reposent en grande partie sur les qualités d'interprète, d'auteur et de mélodiste de Jim Morrison, qu'en était-il de ses réelles aptitudes de musicien, celles qui lui auraient permis de créer, musicalement, le répertoire de base, et du coup l'identité du groupe?
Je veux parler plus concrètement de ses aptitudes d'instrumentiste, puisque créer de la musique implique, dans 99% (disons) des cas, une connaissance - même minimale – d'un instrument de musique, sans tenir compte de sa voix ici. Je parle bien sûr d'un instrument externe à soi. Quiconque peut improviser des mélodies, mais comme dans n'importe quoi, sans entraînement ou connaissance de base, ça n'ira pas plus loin qu'il ne le faut.
Encore une fois, si l'on se réfère à l'histoire du groupe, Morrison ne jouait vraiment d'aucun instrument (officiellement), et ferait partie de ce 1% (disons) qui compose et structure des chansons viables commercialement sans aucune connaissance du solfège ou de l'harmonie, et qui devient du coup une fabuleuse exception à la règle. Il n'existe aucune photo de lui s'accompagnant à la guitare, par exemple, mis à part une séquence au piano sur laquelle je reviendrai.
Un artiste issu de la cuisse de Jupiter?
Morrison a lui-même établi dès le départ les fondements d'une partie de son mythe, soit celle d'être devenu un musicien spontanément, un peu comme un phénomène de « combustion spontanée » dont je parlais précédemment et qui sied tellement au personnage, lui qui s'identifiait tellement au personnage de Dean Moriarty dans Sur la route de Jack Kerouac, un type qui se consume "pareille à une chandelle romaine".
« Sans raison aucune, je me suis mis à écrire des chansons; elles surgissaient (…) j'assistais à des spectacles rock formidables dans ma tête ».
Il écrivit ses premières chansons sur le toit d'un immeuble de Venice en Californie à l'été '65, alors qu'il vivait de conserves et d'acide; il a séduit Ray Manzarek (façon de parler) après lui avoir chanté Moonlight Drive sur la plage. Manzarek lui a alors proposé de former un groupe et de faire un million de dollars.
La légende soutient qu'il n'avait JAMAIS chanté avant cette occasion. Bref, Jim Morrison serait un diamant artistiquement brut dont le talent a finit par jaillir spontanément, à tous points de vue, grâce à la rencontre avec le groupe: d'abord parolier, il est soudainement devenu mélodiste, compositeur et interprète. Sans jamais avoir tâté de la musique auparavant...
De l'été '65 à Light My Fire en plein Été de l'amour de 1967, Morrison aura effectué une spectaculaire métamorphose, passant de chanteur néophyte à crooner sulfureux en, quoi, vingt quatre mois à peine?
C'est le premier aspect de la légende qui m'ait autant impressionné adolescent - comment se transformer spontanément en créateur charismatique. Illico, j'ai été vendu au talent, que je devinais exceptionnel, du Roi lézard.
Mais depuis, et l'ayant expérimenté par moi-même, (et étant peut-être sous-doué, me direz-vous ? ;) deux ans, c'est bien court dans la vie d'un chanteur. Le placement de la voix peut lui-même prendre plusieurs mois de travail constant; et de là, contrôler son diaphragme, travailler avec la colonne d'air, maîtriser le phrasé, la justesse des notes, absorber quelques gammes, le swing, le blues; bref, ça fait bien des choses à assimiler et à rendre artistiquement en peu de temps.
Mais ça n'est sûrement pas impossible à faire pour un talent exceptionnel; peut-être Jim était-il un authentique pur sang sur ce plan? Spontanément chanteur, avec une « bonne tuyauterie », comme en a déjà dit Ray Manzarek? Peut-être est-ce vraiment le cas.
Or, quand on pense à sa posture classique sur scène (les deux mains sur le micro, ce qui comprime les poumons), on comprend que Morrison était un chanteur qui, sur scène, semblait se foutre éperdument de sa respiration et de toute technique vocale, même les soirs ou il était « sobre », selon ses standards à lui évidemment.
Toutefois, en studio, Morrison a démontré qu'il savait chanter; son timbre riche et bas, expressif et sensuel, sa pose de voix inspirée de celles de ses idoles Presley et Sinatra, un sens rythmique infaillible et beaucoup de blues, d'âme et d'authenticité ont fait de lui un chanteur immortel et indémodable. Sur disque, ça ne fait pas l'ombre d'un doute.
Live, il devenait la bête de scène que l'on sait, quitte à arrondir les coins et à larguer des tournures plus mélodieuses au passage.
Je sais, j'ai l'air de débiter des évidences, mais restez avec moi encore un peu.
En cours de recherche, je suis tombé sur cette information, soit celle de son ex-beau-frère, Alan Graham, ancien mari de la soeur de Morrison, et qui témoigne que les Morrison chantaient autour du piano familial jadis et que le père avait une belle voix du Sud. Selon lui, Jim aurait chanté durant son adolescence, et il interprétait "Heart of My Heart," "Let Me Call You Sweetheart," ainsi qu'un hymne de l'école du dimanche, "Jesus Wants Me for a Sunbeam." Avouez que celle-là, ça ne s'invente pas.
Morrison aurait donc chanté depuis l'adolescence? Cela aurait du sens; il n'était peut-être pas un parfait néophyte sur le plan de la voix en 1965, contrairement à ce qui a déjà été avancé, si on se fie au commentaire de Graham et qui était à l'intérieur du clan Morrison à l'époque.
Qui nous dit qu'il n'a pas fait un minimum de piano et de solfège non plus? Cela expliquerait un peu mieux la « spontanéité » de l'interprète qui se découvre du talent aussi rapidement.
Morrison prenait un malin plaisir à déformer et à brouiller les pistes à son propos, on le savait; en voici peut-être une autre illustration. Et l'artiste n'est peut-être pas né de la cuisse de Jupiter...
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Soumis par Pierre le 12 juin, 2011 - 17:46.
Il est établi que les premiers titres des Doors provenaient largement des cahiers de poésie que Jim remplissait furieusement à cette époque, jusqu'à ce que Robby Krieger s'essaie à la composition avec Light My Fire; Krieger, un autre cas de « combustion spontané » lui aussi ?
S'établir comme compositeur sans avoir reçu de formation musicale est, encore ici, spectaculaire et intrigant. Toutefois, Krieger, déjà adepte de flamenco et de jazz, avait assurément une base musicale solide - Light My Fire en étant une démonstration patente.
Construire une chanson, sentir les formes, les dynamiques et développer des mélodies originales demandent des mois de travail, à moins de s'appeler... Jim Morrison? Encore ici, il est difficile d'y adhérer complètement, surtout que notre homme n'a jamais semblé tâter d'un instrument de musique. Quoique...
Dans le clip ci-contre, dont l'existence remonte au premier film sur les Doors, « A Feast of Friends »,, on voit une rarissime prise de Morrison au piano, improvisant une histoire complètement folle mettant en vedette nul autre que Frederic Nietzche, l'idole de ses seize ans.
Notez que pour un non-instrumentiste, la technique pianistique de M. Morrison, bien que limitée, semble quand même assez au point par endroits. Bon, j'admets qu'il « bûche » par moment, mais sinon pas d'hésitation dans le doigté alors qu'il improvise simultanément une histoire dingue qui fait rire, au final, son auditoire hypnotisé par sa frénésie.
Ça n'est pas là le doigté de quelqu'un d'intimidé devant un clavier, ou qui cherche ses notes. Encore une fois, Jim Morrison était-il mieux formé musicalement qu'il ne l'eut jamais admis?
La séquence finale du clip est l'exécution (partielle) de « The End » au Hollywood Bowl à l'été '68. On peut y entendre que la mélodie, sur scène, était plus linéaire qu'en studio, surtout pour le passage [This is the end / of our elaborate plans (…) no safety our surprise, the end / I'll never look into your eyes again / Can you picture what we'll be / So limitless and free (...)] comparativement à la tournure plus mélodieuse et mémorable de l'album éponyme.
Était-ce dû à l'influence et au perfectionnisme du producteur Rothchild? Possible. Était-ce dû aux limites inhérentes du mélodiste « spontané »? Possible aussi. Seuls les membres du groupe, et les proches encore vivants pourraient encore en témoigner.
Encore une fois, on nait avec des aptitudes artistiques, mais le travail d'un instrument fait une authentique différence pour le commun des mortels. À moins d'avoir la chance de tomber sur trois musiciens doués, compétents et complices pour soutenir et alimenter la vision du chaman Morrison qui était, en définitive, l'âme du groupe? Quelle chance il aura eu!
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