Soumis par Pierre le 18 juin, 2017 - 17:20.
« On veut pas le savoir, on veut le voir! » clamait Yvon Deschamps dans un de ses plus célèbres monologues (7.1). À elle seule, cette tirade résume toute une problématique d'écriture propre à la chanson, qui est non pas de « décrire » une narration, des comportements ou une suite d'événements, mais plutôt de « dépeindre », de donner matière à voir.
La chanson se trouve à être un film de trois, quatre minutes – ou davantage - au ton parfois introspectif, souvent narratif, grouillant de personnages vivant un moment banal ou extraordinaire, un condensé d'une journée particulière dans leur vie. Rendre ça en mots relève de l'art d'être parolier.
Raconter de manière orale, vivante et succincte une histoire par une succession d'images, d'angles et de mises en situation que l'esprit percevra du premier coup, n'est pas qu'un point de détail pour un parolier voulant communiquer. Tel un réalisateur, celui-ci voudra nous faire vivre un moment-clé comme si on y était, sous nos yeux, pour partager une émotion ou une situation qui l'a ému, sinon bouleversé.
« La chanson procède par images que l'on peut peindre » expliquait Catherine Sauvage au novice qu'était alors Jacques Brel au moment d'entamer sa carrière. (7.2) Loin d'avoir tort, elle résume en une seule phrase une technique de rédaction de chanson par excellence.
Dédé Fortin, parolier et cinéaste
« Dédé Fortin : des chansons comme des images de film ». Tel était le titre de l'article de journal consacré à cet aspect de l'écriture du leader des Colocs. On y trouvait d'ailleurs l'admission par Fortin que « […] Belzébuth était en réalité un scénario que j'avais écrit en 1985 pour un film d'animation. Puis j'ai abandonné parce que ça aurait été trop compliqué à tourner... » 7.3
André Dédé Fortin, qui a réalisé tous les clips des Colocs, était un ancien étudiant en cinéma. Le sens de l'image était inné chez lui. Sur des thèmes qui l'allumaient, il enlignait instinctivement une caméra dans sa tête et trouvait des angles audacieux à ses observations, comme pour le titre Dédé qui ouvrait l'album éponyme Les Colocs : [Juste en bas de chez-moi sur la rue Mont-Royal / y a un p'tit gars, y a pas de bicycle / mais y a une mère mais c'est pas sa mère / pis son père c't'un alcoolique, c'est classique]... 7.4
Le décor est planté, le ton est donné; le p'tit bonhomme ne l'aura pas facile dans un milieu pour le moins instable, et l'auteur éberlué de lui demander : [Dis-moi comment tu fais pour endurer tout ça?]. Métaphore identitaire de l'auteur transformé en gamin montréalais (Fortin était originaire de Normandin, Lac-St-Jean), ou transposition d'une observation du quotidien? Qui sait. Assurément, il y a une part de vérité ici, et c'est ce qui compte pour nous faire croire à l'histoire. L'on reconnaît des visages, des comportements et des attitudes universels. Ça sonne vrai.
Belzébuth
Pour ce qui est de la pièce-fleuve Belzébuth (7.5) qui ouvre Dehors novembre, Fortin met en scène le chat Belzébuth, qui se dévoile graduellement à partir d'un [Je] indéterminé en ouverture. Le Belzébuth en question vivra bien des rebondissements au fil de son histoire peu banale. C'était une approche d'écriture que Fortin favorisait : « J'essaie toujours d'éviter le prévisible. Avec les gars, je leur soumets souvent des idées en leur demandant ce que sera la suite. Après, je m'efforce pour trouver autre chose, pour que ce soit inattendu ».
Une approche exploitée au maximum sur leur premier album : La rue principale, Passe-moé la puck, Juste une p'tite nuite, La traversée du Lac St-Jean, offrent à voir des images qui campent et résument des situations drôles ou tragiques, parfois certainement exagérées dans le but de livrer une meilleure histoire. Mais surtout, nous y retrouvons des gens, des contextes et des attitudes que nous reconnaissons. L'identification, encore.
7.1 - Câble TV, Yvon Deschamps, 1969
7.2 - Jacques Brel, Une vie, biographie par Olivier Todd, Robert Laffont
7.3 - Dédé Fortin : des chansons comme des images de film, Denise Martel, Journal de Montréal, 20 sept. 1999, p. 55
7.4 -Dédé, Les Colocs, (André Fortin/Guy Lapointe) Les Colocs, BMG, 1993
7.5 -Belzébuth, Les Colocs (A. Fortiin, R. Petit. A. Vanderbiest/A. Fortin) Dehors novembre, Le Musicomptoir, 1998
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Soumis par Pierre le 24 juillet, 2017 - 20:27.
Le portrait dépeint, fut-il pour une histoire dramatique autant que fantaisiste, se doit d'être crédible tant sur les plans rationnel qu'émotionnel. On doit pouvoir y croire sans accrocher sur une ambiguïté, un sentiment fictif ou mettre en doute une intention de l'auteur et de son sujet, celui-ci fut-il un chat craignant de se faire émasculer par un vétérinaire et qui préfère prendre la poudre d'escampette pour sauver sa peau. On doit pouvoir y croire, point. C'est là qu'un auteur talentueux se démarque.
Essentiellement, on souhaite retrouver des personnages reconnaissables dans des situations reconnaissables. Même si c'est un jeune Belzébuth croisant un vieux matou clamant [On m'a ôté mes griffes / mais je sais bricoler / J'ai mis une lame de canif […] bien droite au bout de ma patte] (7.6), on reconnaît des personnages et on assiste à un déroulement de motivations bien humaines auxquelles on croit.
À ces personnages, on voudra leur prêter un visage, voire un surnom - le « colonel » pour le vieux matou, par exemple - pour les identifier clairement, les voir évoluer dans le temps et l'espace, suivre leurs péripéties, les adopter et s'attacher à eux. L'auteur, à tout le moins, gagne à les identifier, à les voir clairement dans son esprit. Pourquoi? Lorsque l'esprit voit clairement, le cœur ressent plus profondément. Comme dans Belzébuth.
Une corde sensible
Au fond, la démarche ici est de faire résonner une corde sensible au plus grand nombre de personnes possible. Il est question de partager une émotion qui sonne vraie et qui le demeure en dépit d'un grand nombre d'écoutes. Idéalement, on espère que la pièce passera le test du temps, mais ça, lui seul tranchera la question.
En matière de corde sensible, l'amour arrive largement en tête, et ce sous toutes ses variantes et déclinaisons sur le même t'aime. Au-delà de cet aspect, la chanson reflète une panoplie infinie d'états d'âme selon les expériences de vie que le quotidien nous amène à vivre. Des paroles d'une chanson qui nous viennent à l'idée, spontanément, et qui trahit le fond de notre pensée, qui n'a jamais vécu ça?
Les grandes chansons nous rejoignent notamment par la portée profonde de l'émotion, un scénario parfait, ainsi qu'un déroulement linéaire impeccable. La simplicité du style malaxe habituellement le tout. La quête de l'absolu, l'amour de la vie, de l'amitié et de la liberté, l'émancipation et la persévérance sont autant d'aspects de la condition humaine qui résonnent pour autrui et demeurent toujours d'actualité.
Le texte de chanson obéit au mêmes règles que toute composition littéraire : introduction, développement et conclusion. Les émotions sont claires, le vocabulaire demeure simple. Des mains expertes peuvent bien prendre les libertés qu'elles veulent, mais il demeure qu'avoir une idée de ces règles demeure un incontournable. Construisez vos lignes simplement, mais solidement : sujet-verbe-objet. Écrivez carré. Reliez les pronoms aux sujets qui les précèdent.
Conservez les yeux sur la scène qui joue dans votre esprit. Notez aussi qu'il est plus facile de communiquer une idée ou une émotion si vous pouvez la ramener à une simple phrase. Et si celle-ci se trouvait, en plus, à sonner bien? Pourrait-elle alors servir de titre? Ma foi, si c'était le cas, on serait possiblement en affaire !
7.6 - Belzébuth, Les Colocs (A. Fortin, R. Petit. A. Vanderbiest/A. Fortin) Dehors novembre, Le Musicomptoir, 1998
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Soumis par Pierre le 13 août, 2017 - 18:35.
A Well Respected Man marqua un tournant dans la jeune carrière du groupe rock The Kinks au moment de sa sortie, ceux-ci délaissant les riffs proto-punk à la You Really Got Me et All Day And All Of The Night pour une signature musicale plus anglaise et acoustique. Du coup, le EP d'origine sur lequel ce titre parut pris le nom de Kywet Kinks (comme dans quiet, tranquille). (7.7) L'observation du quotidien d'un œil satirique devint alors le dada de Ray Davies, le principal auteur du groupe.
Pour faire une histoire courte, ce portrait peu flatteur d'une certaine classe sociale conservatrice fut la réponse de Davies à une invitation au golf provenant de ladite classe - « Je ne serai pas votre caddy pop star! » - situation à laquelle il fut confronté à une époque où la réussite des artistes pop anglais – souvent issus de la classe ouvrière - leur permettaient d'accéder, non sans certaines frictions, à un niveau de vie plus bourgeois.
Cela résulta en un virulent portrait soulignant la condescendance et les hypocrisies de ses contemporains guindés. Davies illustre des travers universels et humains bien reconnaissables derrière les particularités culturelles ou d'époque. La vie routinière réglée au quart de tour, le père qui trompe la mère, la mère qui cultive et manipule de jeunes naïfs, le fils qui attend que le père meure pour toucher l'héritage, et jusqu'à la mère qui décide des arrangements matrimoniaux de fiston, sont autant d'observations de comportements reconnaissables, et qui conservent une connotation et une résonance intemporelles. Un morceau phare (parmi d'autres) dans l'histoire des Kinks.
Un jeune homme bien - Petula Clark
Un jeune homme bien est une traduction fort réussie de A Well Respected Man par Franck Gérald. Le morceau d'origine égratignant pour la peine la patine d'une classe anglaise dominante, la version chantée par Petula Clark, bien que respectueuse du portrait social dépeint par Davies, n'a pas la même charge ironique alors que la traduction arrondit certains angles et détails de l'histoire : le même lever d'un jeune homme, mais [jamais plus tard que midi] ne reflète pas le même aspect routinier au quart-de-tour de sa contre-partie anglaise.
L'usage du mot [ponctualité] respecte toutefois l'emplacement originel, comme c'est le cas pour les [oh] des débuts du refrain : [And he's oh so good] devenu [Il est oh parfait]. Le titre, symétrique, arrive à la même huitième mesure du refrain qui en contient douze.
Moins cinglante, l'on ressent presque de l'empathie envers ce jeune homme bien qui semble davantage victime des circonstances et de la hiérarchie de classes, que l'hypocrite arriviste anglais en v.o.. Néanmoins, le texte dépeint une réalité sociale et certains travers qui demeurent tout à fait reconnaissables, en tout ou en partie.
7.7 - A Well Respected Man, The Kinks (R. Davies), Kywet Kinks, 1965, Pye, NEP 24221, UK (7"/EP).
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Soumis par Pierre le 11 septembre, 2017 - 23:47.
Une technique fort utile et intéressante pour entamer un texte avec aplomb est de camper immédiatement des protagonistes dans un contexte de temps et de lieu par l'usage des
« cinq W », qui tiennent pour « who did what, when, where and why », soit « qui fait quoi, quand, où et pourquoi. ».
Ma reformulation pour en tirer un acronyme et aller à l'essentiel revient à « Qui, quoi, quand et où » (QQQOù), mais n'exclut ni les parce que et autres comment, si besoin était. Ces quatre points établissent l'amorce de la chanson; ils peuvent se retrouver dans l'ordre ou le désordre, et permettent d'enchaîner avec le narratif vite et bien.
Par amorce, je parle de la toute première ligne de la chanson se déployant sur les 2 à 4 premières mesures chantées. Son rôle consiste à aller chercher l'attention de l'auditeur par une mise en scène de personnages et de leurs actions, afin de grounder le tout dans le réel. Une amorce de chanson dynamique et efficace permet d'établir dès le départ des éléments fondamentaux de l'histoire.
La technique des « cinq W » contribue à étoffer un déclencheur inspirant selon la direction que l'on veut donner à l'histoire, et à démarrer la rédaction d'un bon pied. Une fois intégrée, cette technique permet de s'interroger instinctivement, et aide à trouver des réponses plutôt que de chercher midi à quatorze heures.
Dans l'ordre...
Plus souvent qu'autrement, l'amorce cherche à situer un protagoniste agissant ou réagissant à une situation X par un geste, une action ou une affirmation; la scène se déroule dans un environnement quelconque et à un moment souvent déterminant d'une journée ou d'une vie. La ligne est construite simplement, avec un seul prédicat: sujet, verbe, objet. Le Qui est représenté par un nom, un prénom ou un pronom, souvent un [Je] :
La ligne peut contenir un c.o.d., ou réunir deux lignes simples par une subordonnée relative ou une conjonction de coordination :
Qui suis-je? Quelqu'un, un être humain, un individu, une idée personnifiée; le verbe [suis] tient ici un rôle de verbe d'état et s'intègre naturellement au pronom [Je]. Lorsque que le verbe est d'action toutefois, lorsque [je] fais, [j']énonce ou me trouve défini par un métier, un geste, une parole ou une fonction, Quoi offre une définition, une réponse : [Je suis] quoi? Un poinçonneur, un propriétaire, un aventurier.
Qui réfère évidemment aux protagonistes respectifs [t'es, Léopold Gibouleau, Ton arrière-arrière grand-père], et Quoi à leurs gestes posés (ou pas) ou activités propres : [même pas venu me dire salut, a défriché la terre, était restaurateur].
S'invitent parfois, à des degrés variables, les adverbes de temps et de lieu (ou de manière), ceux-ci pouvant être implicites et sous-entendus, ou encore clairement déterminés :
Qui = [Je], fait Quoi = [Je me lève], Quand = [à chaque matin], suivi d'une conjonction [mais] introduisant un second prédicat qui induit un contexte de doute et de remise en question. Le lieu du lever est sous-entendu.
Qui = [Valérie], faisait Quoi = [s'ennuyait], Où + Quand = [dans les bras de Nicolas]. Le temps est à l'imparfait, le moment étant assujetti à l'endroit où se trouve [Valérie].
Parfois, les Qui, Quoi, Où et Comment (par la manière) prédominent; le temps est implicite : c'est soit un matin comme un autre à la manufacture, soit un moment précis où [You] n'était pas tout à fait à jeun :
[Qui = [Ça (qq'un), You] fait Quoi = [Ça arrive, You walked], Où = [à manufacture, in to the party], la manière = [les deux yeux fermés ben dur, Like you were walking onto a yacht]. Lorsque les QQQOù sont réunis dans une même phrase et dans l'ordre, cela donne :
Qui fait Quoi = [I am sitting], Quand = [in the morning], Où = [at the diner on the corner]
Qui fait Quoi = [J'entre], Quand = [avec l'aube], Où = [dans le village endormi]
Qui fait Quoi = [On est partis], Quand = [d'bon matin], Où = [pour Québec]
...et le désordre
Toutefois, dans une amorce, le désordre s'invite autant que l'ordre :
Qui fait Quoi = [J'abandonne] Où = [sur une chaise], Quoi = [le journal], de Quand = [ du matin]
Qui = [Je suis], est Où = [dans la ville], à faire Quoi = [je me promène], Quand = [la nuit...]
Quoi = [Voici la triste histoire vécue], de Qui = [d'un gars tranquille, d'une fille perdue, il l'a connu] Quand = [un lundi soir], Où = [chez des amis]
Quand = [Quand, Depuis le temps que], Qui fait Quoi = [Je regarde un show, patiente], Où = [dedans le Centre Bell, dans cette chambre noire]
Quand = [Ce matin], Qui = [je] sors d'Où = [de chez-moi], Qui = [Il] faisait Quoi = [m'attendait, était là] = (le p'tit oiseau)
Où = [Bus stop], Quand = [wet day], Qui = [She's there], Quoi = [share my umbrella]
Où = [Vers les docks où], Quoi = [le poids et l'ennui me courbent le dos], Quoi = [ils, les bateaux], font Quoi = [arrivent], Comment = [le ventre alourdi de fruits]
Les « Cinq W » sont utiles pour délimiter un environnement et/ou résoudre une problématique de mise en scène pour amorcer un texte. Il s'agit d'une technique, et non d'un dogme. Elle a le mérite d'être flexible, d'éclaircir les enjeux et de mettre la table pour ce qui a à suivre. Et ensuite...?
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Soumis par Pierre le 24 septembre, 2017 - 15:21.
En appliquant les « cinq W » pour choisir l'angle de notre caméra mentale, cadrer le moment présent devient naturel : « Cela se passe à tel endroit, à tel moment de la journée et implique un (ou plus d'un) personnage à qui il arrive ceci, ou cela, à un moment crucial d'une journée ou d'une vie », afin de se grounder concrètement dans l'histoire.
Nous voudrons ensuite faire progresser l'histoire de ligne en ligne, sans se répéter, en gardant en mémoire la sous-question « Et puis après? », pareil à un Dédé Fortin qui demande à ses collaborateurs quelle tournure inattendue l'histoire devrait prendre, pour la faire avancer.
En tout temps, il est utile de se rappeler d'où l'on vient et garder en tête où l'on veut aboutir, en conservant bien les yeux sur le déroulement de la scène.
À la relecture par un tiers, on devrait pouvoir s'entendre pour tous percevoir le même contexte, la même histoire, le même propos de fond et les mêmes enjeux narratifs. On devrait tous reconnaître les mêmes « qui a fait (ou dit) quoi, quand et où » pour obtenir un consensus minimal, ce que j'appelle un « plancher d'interprétation ».
Je fais jouer en classe quelques titres permettant de distinguer les « QQQOù », en allant d'un contexte clair à plus flou. Voyons-y de plus près.
La 20 (7.8) de Plume Latraverse et Stephen « Cassonade » Faulkner met en scène un auto-stoppeur sur le bord de l'autoroute 20 qui veut [descendre à Gaspé], et cela ne saurait être plus clair dans l'amorce de la pièce : [C'tait un matin su'l bord d'la 20 / je pouçais pour descendre à Gaspé]. En une seule ligne, les « QQQOù » campent la scène. On s'imagine sur le bord de la route, le pouce levé, à attendre la voiture qui va nous mener à bon port. Il fait beau, la journée est jeune et le cœur est léger.
Démarrer clairement a l'avantage de pouvoir passer rapidement à autre chose côté narratif, question de maintenir l'intérêt et de développer le propos. Celui-ci se déploiera sur trois couplets bien distincts, et quelques lignes plus loin, le pouçeur se retrouve ailleurs et... au même point de départ, en quelque sorte.
Dans Je te regarde (7.9) de Geneviève Paris, le contexte est fort différent. Fait intéressant, ce morceau ouvre par son refrain, et permet de résoudre déjà la majeure partie des QQQ&O : [Je te regarde / à l'autre bout de la pièce / Je te regarde / sans que ça paraisse].
L'auteure nous livre d'emblée quelques clés du puzzle par les Qui et Quoi, ce [Je te regarde] que l'on devine intéressé. Le Où se dévoile par quelqu'un [à l'autre bout de la pièce], que l'on devine à l'intérieur d'une résidence ou d'un appartement. En quelques mots, l'auteure a résolu l'équation et placé la scène.
Au fil des lignes, le portrait se précise par de multiples indices : [la fumée bleue des cigarettes], [Tu danses et tu ris / Tu parles à quelqu’un / Je n’entends rien], ou encore [La soirée s’achève / Les derniers invités se lèvent], bref, ces détails suggèrent davantage une réception privée qu'une soirée dans une discothèque, avec une intimité propice à l'échange de phéromones dans un environnement visuel et sonore distinct qui mènent au coup de foudre.
Quand? Il s'agit essentiellement du moment présent, implicite, et se trouve confirmé à la fin du morceau par [La soirée s'achève]. Quant au Quoi du début, le [te regarde], il trouve sa conclusion à la dernière ligne par un retour d'intérêt qui amène une résolution émotionnelle satisfaisante. Par un développement graduel et nuancé, l'auteure a conservé les yeux sur la scène sans se laisser distraire.
7.8 - La 20, Plume π Cassonade, Pommes de route, Disques Dragon, 1976
7.9 - Je te regarde, Geneviève Paris, Miroirs, Audiogram, 1990
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Soumis par Pierre le 24 septembre, 2017 - 17:53.
Dans Au nom de la raison (7.10) les « QQQOù » deviennent flous à certains égards. D'abord, le Qui prend la forme d'un [tu] asexué et indifférencié : [Tes châteaux], [Tu pleures...]. Cela pourrait être quelqu'un d'autre que l'auteure (l'interprète) qui traverse un mauvais moment, comme celle-ci pourrait aussi tenir un monologue intérieur. Par contre, le Quoi est immédiatement installé par l'amorce : [Plus de raison d'exister / Tes châteaux en Espagne sont effondrés], ce qui annonce un conflit existentiel intense.
Le Où est aussi mis rapidement à contribution en situant l'environnement immédiat : [Sur ton lit, il y a ta valise ouverte / Ta chambre est comme ta vie / sans queue ni tête]. En transit dans une chambre d'hôtel? Retour difficile à la maison? Impossible de confirmer. La charge émotionnelle, le gravitas passe sans problème, toutefois. [Tu pleures tes déceptions / Chacune des larmes qui coulent porte un nom] suggère la source du tourment, justifie l'amorce et ajoute à la charge émotive.
Notez l'intéressante structure rythmique de la ligne : presque tous les mots sont des monosyllabes, ou sont prononcés comme tel : [pleur'], [larm'], [coul'], etc. Les [T] de [Tu pleures tes déceptions] accentués offrent un point d'appui, un tremplin rythmique pour larguer les deux bombes de la ligne, alors que celle-ci se dénoue sur un effet de roulement ternaire [tes-dé-cep-TIONS], comme un retour de vague. Un accent d'insistance sur la seconde syllabe de [ChaCUNe] donne un allant, un swing pour les monosyllabes [des LARMes qui COULent PORTe un NOM] qui suivent et cognent sur le clou. Cela contribue, évidemment, au renforcement de la charge émotive, et donc au Quoi.
Résumons-nous : le Qui, un [Tu] indifférencié, homme ou femme : flou. Le Quoi : une forte charge émotive à propos de choix déchirants entre la passion et la raison. Le Où : [ton lit, ta chambre], des indices sans plus de précision, en transit (ou pas). Le Quand? Il est assujetti au Où, à un moment-clé de la vie de ce personnage qui traverse une crise existentielle. Le Quand prend alors un tout autre sens que le temps immédiat, et propose une signification plus large.
On remarquera un certain flou « artistique » dans le passage d'informations de base. À l'évidence, le détail du portrait peut souffrir d'un manque de clarté par-ci par-là, mais en même temps, cela pourrait bien avoir contribué à son succès en passant par une identification facilitée par le propos un peu vague, un personnage unisexe et une charge émotive intense et crédible. Voilà comment l'auteure pourrait justifier ses décisions artistiques, en s'en remettant à l'imaginaire de l'auditeur.
Comme dernier exemple, je propose un titre de Marjo qui a, par ailleurs, beaucoup tourné à la radio depuis sa sortie, Tant qu'il y aura des enfants. À l'écoute, relevez les « QQQ&O » des toutes premières lignes, repérez-les, identifiez-les et comparez les aux chansons précédentes. Voyez-vous un film se dérouler sous vos yeux? Suivez-vous un certain fil narratif, des personnages dans un contexte de temps et de lieu? Personnellement, je les cherche. Ce que j'en tire comme conclusion, c'est que la maîtrise de la notion de film en chanson demeure à parfaire, même chez des professionnel-le-s aguerri-e-s...
7.10 - Au nom de la raison, Laurence Jalbert (Laurence Jalbert / Pierre Carter), Laurence Jalbert, Audiogram, 1990
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Soumis par Pierre le 29 octobre, 2017 - 16:44.
Que voilà une question qui turlupine bien des apprenti-e-s auteur-e-s de chanson : «Y a-t-il une différence entre un poème et une chanson »? C'est une question fréquemment posée aux moteurs de recherche et qui mène régulièrement à mon site web. Elle m'a aussi été posée souvent en atelier.
Bien qu'il y ait eu des exceptions et des réussites remarquables dans la mise en musique de poètes - pensons aux albums « Douze hommes rapaillés » dédiés au poète québécois Gaston Miron, en plus des classiques Aragon, Prévert, Rimbaud et combien d'autres – cela demeure généralement une œuvre en marge de la création chansonnière régulière. Elle relève d'une démarche davantage artistique que commerciale.
Pensons à Chloé Ste-Marie qui en a fait une spécialité et possède une aura bien à elle. En cette époque de rap et de slam, la ligne entre la chanson et la poésie est plus ténue que jamais. Mais à la base, oui, il existe une différence entre les deux. Si on doit ne retenir qu'une chose à propos de la poésie en chanson, c'est que le texte utilise l'âme de la poésie, et le corps de la prose ».
Une œuvre en vers
L'une des définitions que l'on a fait de la poésie est celle d'une « Œuvre en vers assez étendue (complète en elle-même) ». La poésie est conçue d'abord pour être lue, même si la tradition orale de laquelle elle est issue remonte à la nuit des temps. Elle existe essentiellement sur papier et permet une complexité d'écriture pouvant nécessiter une certaine base en littérature pour apprécier les références pleinement.
Le poème de facture moderne peut vouloir user d'une métrique libre et imprévisible, voire anarchique par tout refus des conventions, formes et structures, et où la recherche de la rime n'est pas un objectif. Toutefois, cette matière brute peut certainement être une pépinière de bonnes lignes pouvant trouver leurs chemins ultérieurement, en chanson ou ailleurs.
Le panneau sur l'autoroute
Le texte de chanson, lui, est fait pour être entendu, et l'auditeur n'aura pas forcément le texte sous le nez pour suivre, sauf pour le ou la passionné-e qui aura le nez dans les paroles à la moindre occasion. La chanson entendue à la radio, à la télé ou au cinéma est attrapée au vol par l'oreille, et le sens doit lui être accessible immédiatement, dès la première écoute. C'est le principe du panneau sur l'autoroute : compréhensible instantanément et qui permet de nous diriger et de suggérer immédiatement la direction sans avoir à réfléchir. On suit.
De même, la chanson ne doit comporter qu'une seule idée, qu'un seul sens clair. On ne veut pas se perdre dans mille et une nuances. Le minutage est compté, et le scénario gagne à être épuré. Vous allez vouloir écrire comme vous parlez, la chanson étant un art populaire sonore, au risque de me répéter...
Comme l'indiquait Chantal Grimm : « Attention aux phrases interminables dont on perd le fil en les écoutant. Ne vous laissez pas aller non plus à l’inversion du sujet, qui est un tic de la « fausse poésie », celle qui sacrifie le mot à la rime. »
Alors que le poème est complet en soi et ne nécessite aucun autre support que la feuille pour s'épanouir, le texte de chanson ne sera toujours que la moitié d'un tout, dont il manquera son moteur principal, la mélodie.
Sa métrique se doit d'être précise et régulière, afin de favoriser un phrasé rythmique et mélodieux. On revient à la notion d'écrire « carré » vue précédemment, afin d'établir une pulsation, un rythme, une cadence régulière pour le compositeur, celui-ci fut-il vous-même ou quelqu'un d'autre. L'aspect rythmique vous aidera à mettre en place un canevas pour vos intentions.
Essentiellement, le texte de chanson demeure un habile mélange de répétition et de nouveauté. La répétition crée des repères auditifs que l'on aime, qui nous accrochent l'oreille et l'imaginaire par un effet de renforcement. On souhaite réentendre les éléments-clés, notamment le titre, le plus possible.
La nouveauté, elle, sert à conserver l'intérêt à propos de ce qui se déroule durant les minutes pour lesquelles notre attention est sollicitée. Bref, à amener de l'eau au moulin pour se rendre à la fin du morceau ensemble, et ne pas se faire zapper par l'auditeur.
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Soumis par Pierre le 30 octobre, 2017 - 22:38.
La symétrie
Faire usage de symétrie correspond à déterminer quels mots seront repris par l'auteur dans la construction de la chanson. À nouveau, Chantal Grimm : « [...] vous remarquerez aussi qu’il est nécessaire de répéter : la répétition [...] à certains endroits stratégiques du texte (surtout au début ou à la fin de chaque couplet) facilite la compréhension. Elle repose l’esprit. Elle donne du plaisir au corps. ».
La symétrie peut se décliner à tous niveaux : dans la disposition d'éléments qui se répondent sur l'ensemble du morceau, à certaines lignes précises, ou d'autres charnières, comme dans Libérer le trésor : les [Martin dans le Nord regarde les nuages] et [Marie dans le Sud, les mâchoires serrées] ouvrent respectivement les deux couplets de la chanson, chacune mettant la table pour le retour du refrain, en déplaçant l'angle de la « caméra » qui, par un effet de miroir, opposent les genres et la géographie afin d'accentuer l'universalité du propos.
La symétrie peut aussi se déployer dans l'ensemble d'un morceau en opposant les pronoms, comme dans Ma photographe de Philippe B, où les couplets portent exclusivement sur [elle]: [Elle s'arrête pour prendre des photos / Elle s'achète des bijoux rococo / Elle s'attarde... / Elle regarde...].
Le refrain retourne l'éclairage sur l'observateur qui témoigne : [Et moi je ne la quitte pas / Je ne la quitte pas des yeux]. Répétez une fois, et vous avez une (courte) chanson de deux minutes.
Ou encore Claude Dubois qui, dans Comme un million de gens, ramène le titre sciemment à la dixième mesure des trois premiers couplets, pareil à un leitmotiv attendu et rassurant, avant d'entamer le dernier couplet avec celui-ci, qui mène au coda de la fin et appelant à l'émancipation d'un peuple. L'oreille est contente.
La concision et l'évocation
La contrainte de la durée dans le temps n'est pas la moindre à maîtriser. On sait que la durée moyenne d'un morceau varie de trois à cinq minutes, que le refrain devra se pointer dans la première minute, et que l'auteur voudra en dire un maximum avec un minimum de mots. La concision devient alors une alliée de taille, car le temps est compté.
À vue de nez, un texte contient dans la centaine de mots, à peu près. C'est un ordre de grandeur relatif, évidemment. Michel Pagliaro a écrit Travailler dont le texte consiste en cette seule répétition du verbe une poignée de fois. Néanmoins cette exception, un parolier le moindrement exigeant aura pesé et soupesé chaque mot - sinon chaque syllabe - à l'aune du son, du rythme et du sens, et aura été tourné et retourné, testé, approuvé ou rejeté. Et rappelez-vous, comme on dit au sud de la frontière : « less is more ».
Le pouvoir d'évocation est celui de donner à voir, de susciter des images. Cela nous ramène au dicton d'Yvon Deschamps en début de chapitre. Encore là, cultiver l'art de mettre en scène des personnages reconnaissables dans des situations reconnaissables, clairement dans votre esprit, et de suivre la scène du regard contribuera à aller à l'essentiel sans perdre de temps. Pour vous aider dans cette quête, fuyez les abstractions, revenez aux « 5W », et laissez vos sens par l'ouïe, la vue, le toucher, le regard et le goût vous ancrer dans le réel.
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Soumis par Pierre le 26 janvier, 2018 - 22:59.
Stéphane Venne est catégorique : « Jamais je n'aime une chanson en raison de son thème […] Les damnés études par les thèmes! Qu'est-ce qu'on s'en fout! » 8.1
Bon, pour dire le moins, ça part mal pour mon idée d'élaborer sur ce thème...
Blague à part, M. Venne marque évidemment un point valide vu de sa perspective, mais faire l'économie d'une réflexion ne nous avance pas. Il poursuit : « […] prenez tous les thèmes que vous voulez, ils pourraient tout aussi bien s'appliquer à un poème, à un roman, à un film, à une pièce de théâtre. C'est n'importe quoi. Et si ça peut s'appliquer à n'importe quoi, ça ne concerne donc pas spécifiquement l'art de la chanson. […] Il faut parvenir […] à la comprendre quasiment comme une chose vivante, d'abord quand elle bouge dans la tête de l'auteur, puis quand elle bouge dans l'air des sons, puis quand elle bouge dans votre tête à vous et, enfin, plus tard, […] dans votre mémoire [...] »
Monsieur Venne a une feuille de route qui lui permet de parler d'autorité, lui qui a donné une voix à - et marqué toute - une génération grâce à ses immortelles comme Un jour un jour, chanson-thème de l'exposition universelle de 1967 à Montréal, C'est le début d'un temps nouveau, Le temps est bon, Et c'est pas fini, Il était une fois des gens heureux, et j'en passe. Sur le plan de la chanson et de la communication, Stéphane Venne sait de quoi il parle. Sauf que...
Il parle de mise au monde d'une chanson comme si la seule façon « valable » d'en créer était l'apanage de l'auteur-compositeur autonome et éclairé, celui ou celle qui développe une idée musicale jouxtée à des paroles tout-de-go et qui débouche sur une chanson structurée et exécutable devant public.
Cette capacité, telle qu'énoncée par M. Venne semble exclusive à toute personne s'accompagnant aisément sur un instrument et apte à enligner simultanément des mots sur une mélodie. Exclusif à un-e allumé-e qui reçoit une « commande divine » accouchée dans un moment d'épiphanie sur le coin d'une table (comme le veut le cliché), ou laborieusement pendant une intense session de travail sur plusieurs heures en studio, comme il le décrit dans son ouvrage.
Si telle est la seule façon « valide » de créer une chanson, c'est-à-dire issue d'une seule tête, que fait-on des Luc Plamondon de ce monde, qui ne joue d'aucun instrument de musique, à ce que je sache? Que faire d'un Bernie Taupin, parolier d'Elton John, qui lui soumettait des textes dactylographiés d'un bloc, sans formes musicales ni structure...?
L'histoire de la chanson « Daniel » est éloquente à ce sujet, puisqu' Elton John a volontairement coupé dans le texte : le dernier couplet clarifiant l'histoire était tout simplement de trop. Comme une séquence tombée au montage d'un film, ce couplet a disparu de la chanson, peut-être pour une raison de minutage, qui sait...
Il n'y a pas qu'une façon de créer une chanson, il y en a de multiples. Et l'industrie musicale n'aurait pas la diversité qu'on lui connait s'il n'y avait eu qu'une seule façon de composer des chansons.
On s'entend, l'idéal demeure le moment de grâce, quand une chanson apparait d'un coup, dans son entièreté, paroles et musique unifiées. Cela arrive aux plus illustres créateurs de chanson comme aux moins illustres, à ceux et celles qui entretiennent leur muscle créatif sur une base régulière. Bien des histoires, certaines légendaires, circulent sur l'un ou l'autre ayant crée un chef-d'oeuvre en 15 minutes, soit en se levant le matin (McCartney, Yesterday), soit au milieu de la nuit, en plein désespoir conjugal (Sting, Every breath you take).
Toutefois, ce type d'éclair de génie représente plutôt l'exception que la règle, même chez les plus doués. Tout le monde la réclame sur une base régulière, cette inspiration bénie des dieux. Sauf que l'on ignore pendant combien de temps cette idée de génie a-t-elle mijotée dans le ciboulot du créateur : quelques heures, quelques jours, semaines, mois ou années? Alors oui, aucun créateur de chanson ne va cracher dans la soupe d'un moment de grâce. Toutefois, ledit moment ne va pas forcément sans préparation non plus.
« Le vrai sujet d'une œuvre, c'est l'oeuvre elle-même. » 8.2
Ça ne veut pas dire non plus que le thème, le « damné » thème ne s'applique pas à la chanson parce qu'il s'applique également à d'autres moyens d'expression; ça serait un peu absurde de prendre ça au pied de la lettre. Le thème s'applique autant à la chanson qu'à tout autre moyen d'expression artistique, incluant la peinture. Un « sujet » (au sens large) reste au coeur de toute œuvre, et l'importance de celui-ci ne cède réellement sa place qu'au traitement qu'il en résulte. Cela s'apparente un peu à la création et/ou l'appréciation d'une toile, par exemple : le sujet ne doit jamais être plus important que son traitement visuel. Sinon, « cela devient de l'illustration, et ça n'est plus de la peinture. » 8.3
Dans le cas de la chanson, « [elle] a beau promouvoir une idée ou proposer un récit, sa finalité réelle, c'est l'émotion. ». (8.4) Stéphane Venne, pour sa part, parle d'ambiance, voire d'univers, pour élaborer sur son idée de ce qu'est une chanson. N'oublions pas : Venne est un auteur-compositeur tout-en-un. Il n'a pas besoin de partenaire de création, il est auto-suffisant, ce qui simplifie la négociation créative. Il peut concevoir une chanson comme une entité à part entière dès le départ, sans se prendre la tête à imposer sa vision.
Malheureusement, ça n'est pas donné à tous d'avoir les aptitudes de pondre une chanson tel un œuf, prête à être consommée as is. Heureusement, il y a d'autres avenues à emprunter pour en produire. Comme par exemple, écrire sur une musique existante. Mais surtout, rien n'empêche un parolier d'avoir une bonne idée du genre de chanson qu'il souhaite obtenir au final, et ce dès le début. Au contraire, il a tout à gagner à le prévoir! Développer cet atout est fortement souhaitable, pour des raisons artistiques évidentes.
8.1 - Stéphane Venne, Le frisson d'une chanson, Stanké, 2006, p. 95.
8.2 - Stéphane Venne, Le frisson d'une chanson, Stanké, 2006, p. 290.
8.3 - Dixit feu Jean Lefébure, mon professeur de peinture au Cégep de St-Laurent, 1981.
8.4 - Georges Moustaki, cité en note de bas de page par S. Venne, Le frisson d'une chanson, Stanké, 2006, p.97
Extraits reproduits avec l'aimable autorisation de M. Stéphane Venne.
Stéphane Venne: Chansons pour tous et pour tout le temps.
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Soumis par Pierre le 29 janvier, 2018 - 16:47.
La création du titre Où sont les gens de bonne volonté? (8.5) résulte d'une vision claire, dès le départ, de ce que je souhaitais obtenir au final. Au niveau du texte, j'y allais d'un amalgame d'idées, de lignes et de titres ayant mûri dans mon esprit sur quelques mois : étant un enfant des années 60, les assassinats des frères Kennedy et celui de John Lennon en 1980 ont, comme pour l'ensemble de la population à l'époque, frappé l'imaginaire.
À partir d'une première ligne pondue et qui m'allumait particulièrement, soit : [Feu, John Lennon, John et Bobby Kennedy / feu Malcolm X, Luther King et Marvin Gaye], tous décédés d'une décharge d'arme à feu, j'en suis venu à vouloir construire une chanson dans laquelle je m'interrogerais à propos de la perte de modèles, de « héros » plus grands que nature, menant des quêtes personnelles et collectives au bénéfice de leur société, jusqu'au détriment de leur propre vie.
L'idée me turlupinait à une époque, les années 90, où la globalisation se mettait en branle et où l'individualisme prenait graduellement le pas sur le bien commun. Combien différente la société occidentale aurait-elle été, ceux-ci ayant vécu, on ne le saura jamais. À tout le moins, telle était ma perception qui bouillonnait à ce moment-là.
En arrière-plan à ce remue-méninges tournait aussi dans ma tête No More Heroes (8.6) du groupe anglais The Stranglers, qui résumait bien une facette du propos qui m'habitait par l'image bien ramassée. La perte de mon père durant cette période d'incubation s'est ajoutée à ma cogitation, et je me suis retrouvé avec une table mise pour un texte aux possibilités philosophiques bien senties, dans laquelle une certaine inquiétude m'habitait quant à la possibilité de voir à nouveau des gens se lever au nom du bien commun, au risque d'y laisser leur peau : [ Et si je disais ce qu'on ne veut pas entendre / serait-ce pour prendre la chance de me faire descendre...? ].
La dynamique des lignes du couplet laissait deviner une allure musicale davantage rock que pop, avec guitares à l'avant-plan. Je voulais miser sur une alternance d'un couplet en mode mineur introspectif, suivi d'un refrain en mode majeur contrastant et revendicateur, pour faire valoir ce que je percevais.
J'ai alors demandé à la compositrice Nathalie Huot de produire une musique selon ce paramètre musical précis, avec en tête le titre (What's so funny about) Peace, Love and Understanding (8.7) d'Elvis Costello pour la fougue et la couleur revendicative, et pour son refrain en mode majeur. Ce type de structure musicale n'est pas rare en chanson, et il convenait parfaitement à ce que j'avais en tête. Incidemment, des préoccupations sous la forme interrogative influenceront la structure de mon propre texte.
Le résultat de cette idée de chanson fut-il atteint? Quant à mon objectif de départ, j'ose croire que oui. Formellement, j'ai suivi mon plan. Je souhaitais produire un commentaire social doublée d'un appel à tous relevant, à mon sens, de l'absence de leaders forts, et du peu d'empressement de la relève à se présenter au bâton si c'est, ultimement, pour se faire « ramasser » et payer de sa personne : [Où sont les gens de bonne volonté, quand on a besoin d'eux? [...] Leur avons-nous donné le goût de rester chez-eux / Nous auraient-ils laissé tomber...?]. Telle était l'aboutissement de ma réflexion. Y suis-je parvenu? À vous de juger.
Une composante nécessaire
Toutefois, et pour revenir au propos de Stéphane Venne, lui-même se rallie en bout de piste : « Bien sûr, le sujet fait partie de l'idée d'une chanson [...] Mais le sujet n'est pas l'idée. » poursuit-il, avant de conclure : « […] le sujet est une composante nécessaire de l'oeuvre. Et cette composante doit être maîtrisée comme les autres. Car personne ne doit se demander devant une chanson dans sa propre langue « de quoi il parle au juste, le chanteur? » à cause de mots maladroits ou de construction de phrase sans queue ni tête. » 8.8
Et voilà. Le thème, comme une part d'âme sur laquelle on devrait pouvoir mettre le doigt, et la ramener à une seule ligne.
8.5 - Où sont les gens de bonne volonté, Pierre Jolicoeur/Nathalie Huot, Terre et ciel, 1997
8.6 - No More Heroes, The Stranglers, No More heroes, UA, 1977.
8.7 - (What's so funny about) Peace, Love and Understanding, Elvis Costello & The Attractions, (Nick Lowe), Armed Forces, Columbia, 1979
8.8 - Stéphane Venne, Le frisson d'une chanson, Stanké, 2006, pgs. 290, 291, 295
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Soumis par Pierre le 11 février, 2018 - 19:09.
Pour avoir eu à commenter des dizaines de textes de participant.e.s à mes ateliers, j'ai pu constater que de ramasser en une ligne une idée maîtresse ne relevait pas forcément de l'évidence pour tous. Cela a pu engendrer un doute ou de la confusion chez certain.e.s, et induire une remise en question afin de déterminer un angle d'attaque ou une posture à adopter. Pour d'autres, ce genre d'exercice relevait de l'évidence et motivait la réécriture du texte.
En tous les cas, l'angle d'attaque vous appartiendra en propre. Peut-être aimeriez-vous vous faire une tête par un repérage chansonnier répondant aux mêmes connotations de ce qui vous fait vibrer, ou qui puise à la même veine? Connaître ce qui s'est chanté par le passé vous soutiendra au moment de préciser votre intention ou votre positionnement. C'est une option à considérer.
Ce qui est souhaitable, c'est que cela vous amène à cerner l'essentiel de ce que vous voulez raconter, et faire le tri dans ce que vous ne voulez pas dire. L'idée n'est pas de trop réfléchir ni de se censurer : juste assez pour prendre conscience du propos, mais sans inhiber le côté instinctif dont vous aurez besoin au premier jet.
L'idée prendra la forme d'un trait d'esprit, d'un jeu de mots ou d'une allitération qui sonne et qui parle. La trouvaille suscitera un questionnement, un monologue intérieur, un cri du cœur ou de ralliement, un commentaire social, une blague ou quoi encore, mais de toute évidence elle fera mouche en vous. Ce trait d'esprit a toutes les chances de devenir le titre de votre prochaine chanson, d'ailleurs.
L'étincelle peut survenir au moment ou vous vous y attendez le moins : devant un écran, petit ou grand; elle peut provenir d'une lecture, d'un potin, d'un fait divers. Être issue du contexte socio-économique, des médias, d'une célébrité que vous aimez ou qui vous inspire un commentaire quelconque. Elle viendra d'une observation de votre entourage, au risque de me répéter. À vous de prendre les moyens pour qu'elle ne se perde pas.
Cette idée devrait à tout le moins vous allumer suffisamment pour avoir le goût de poursuivre cette conversation avec votre clavier et/ou feuille de papier sinon, à quoi bon? Sentez-vous avoir de quoi à dire? Les mots se laissent-ils désirer? Partez-vous d'une anecdote observée ou vécue personnellement, ou inventez-vous une situation de toute pièces, sans ancrage dans le réel, et qui manque peut-être d'un supplément âme? Avez-vous une bonne ligne qui ne mène, pour le moment, nulle part? Possible. Seul le temps vous le dira. Rappelons-nous la citation d'Oscar Hammerstein du chapitre 3 à propos des « sentiments et personnages fictifs ».
Une chanson, de par son intention, porte en elle une seule idée-clé, et celle-ci devrait pouvoir se résumer en quelques mots, fussent-ils issus du texte, de la manière la plus simple possible, et servir de pivot à l'auteur, comme une « ligne de force » qui indique le chemin à suivre, ce que nous verrons plus loin.
En ce sens, l'idée de votre chanson devrait être clairement identifiable, et vous devriez pouvoir vous résumer en quelques mots, sans vous casser la tête, afin de résoudre le « de quoi il parle au juste, le chanteur? » dont causait Stéphane Venne préalablement. Et ce, peu importe la sophistication ou la simplicité de l'idée. Chaque chanson possède un propos identifiable.
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Soumis par Pierre le 18 février, 2018 - 23:19.
Le thème gagnera à être crédible et vrai, à sonner une cloche, comme lorsqu'on se dit : « Je comprends tellement ce qu'elle, ce qu'il veut dire ». Par un fond de vérité, le propos vient nous chercher. Ce sont des chansons aux prémisses universelles : par l'observation du quotidien, d'un comportement reconnaissable, ces chansons traitent de la vie, de l'amour et du monde. La condition humaine y passe, et nous renvoie à chacun d'entre nous, souvent par la voie d'un questionnement ramassé en une formule puissante. L'identification, toujours.
Soutenir la répétition
Le thème sera fondamentalement porteur et apte à soutenir la répétition des écoutes avec la même authenticité. Comme pour le buveur solitaire de Zébulon dans Y a du monde qui s'aime: [Tout seul encore à siroter dans un bar / J'ai pas vraiment soif mais c'est un réconfort / de voir qu'y en a d'autres comme moi qui trouve la soirée plate ], pour déduire, au refrain, qu'il [Y a du monde qui s'aime] et qu'il n'est pas du party. 8.9
La première ligne du morceau clarifie dès le départ les QUI [Tout seul = Je], fait QUOI [encore à siroter], QUAND [le moment présent, implicite] et OÙ [dans un bar]. Chacun des trois couplets alimente et développe le monologue intérieur, l'état d'âme du buveur solitaire vers sa conclusion inéluctable, la sortie du bar [ en ruminant mon p'tit refrain... ]. S'ancrer dans le réel ajoute une dimension concrète pour mettre en scène une situation.
Une seule attitude claire
Le texte ne devrait exprimer qu'une seule attitude et émotion claires. Ne courez après qu'un seul lièvre à la fois. L'éparpillement nuira à votre propos, au risque de devenir confus. Ne conservez qu'une seule ligne directrice, et obstinez-vous à maintenir le cap sur celle-ci. Ne creusez qu'un seul sillon. Vous n'êtes pas en train de rédiger une thèse, mais bien une œuvre de divertissement. Encore une fois, l'exemple de Y a du monde qui s'aime pour ce point est patent. Il n'y a qu'une seule idée, renforcée et réitérée tout au long du texte.
De la substance
Ce que vous avez à partager gagnera à avoir un minimum de substance, et refléter un angle, un point de vue qui vous appartient en propre autant que possible. Pas de redite et du déjà entendu cent fois. Vous voulez vous en convaincre? Allumez la radio commerciale et suivez les titres en fortes rotations. Les « On va s'aimer » entendus mille fois, les clichés éculés de l'amour plus près de la pensée magique que de celui réellement ressenti – et qui fait souvent mal - ne nourrissent plus l'âme depuis longtemps, s'il l'ont déjà fait.
Mettez-y un supplément d'âme, comme le chantait France Gall à propos de la grande Ella Fitzgerald dans Ella elle l'a. On aime avoir de la substance fraîche à se mettre sous la dent. On aime à savoir ce que vous avez « dans le ventre » comme parolier. On aime découvrir un style, une signature, un ton, un propos qui ne ressemble qu'à vous. Pas besoin d'intellectualiser à outrance; une émotion ramassée en une ligne forte et imagée est tout ce que l'auditeur demande. Fiez-vous à votre instinct.
Sous un jour favorable
En principe, personne n'est intéressé à se retrouver sous un jour négatif, à moins de se placer dans un angle défavorable ou auto-dérisoire dans le but de servir la chanson, comme Michel Rivard en gars coincé dans Ginette, Daniel Boucher en baveux dans La désise : [Je suis un crotté, un égocentré...]; (8.10) ou le Bon gars (8.11) névrosé de Richard Desjardins : [Quand j'vas être un bon gars / Pas d'alcool pas d'tabac...], dans la quête de l'acceptation sociale qui mène à l'aliénation personnelle.
Cela dit, l'usage de titres dépréciatifs n'est pas rare en chanson : les Ordinaire, N'importe quoi, Le monde est à pleurer, La vie est laide font partie du patrimoine chansonnier et de nos vies. Tant que le thème nous porte et qu'on est prêt à l'assumer, la chanson mérite d'être écrite.
Auto-suffisante
Enfin, ne perdez pas de vue que votre chanson doit s'auto-suffire en principe en 3 ou 4 minutes. Elle doit se défendre par elle-même, sans besoin d'un éclaircissement ni d'informations supplémentaires. Elle est autonome et se passe de commentaires explicatifs. Sinon, il y a de quoi qui cloche.
À moins qu'elle ne fasse partie d'un ensemble plus large ou d'une comédie musicale, mais même à ça; une bonne chanson se suffit à elle-même. Les opéras-rock de Luc Plamondon, pour ne donner que lui comme exemple, en font la démonstration.
8.9 - Y a du monde qui s'aime, Zébulon, Zébulon, Audiogram, 1993
8.10 - La désise, Daniel Boucher, Dix mille matins, GSI Musique,1999
8.11 - Le bon gars, Richard Desjardins, Tu m'aimes-tu, Foukinic, 1990
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Soumis par Pierre le 26 février, 2018 - 17:02.
Une observation soumise à Paul Simon : «Vous avez démontré dans votre œuvre qu'il y a une multitude de thèmes que l'on peut mettre en chanson; des idées que la plupart des gens ne penseraient jamais à utiliser. ». Ce à quoi Simon a répondu : « Le sujet en chanson populaire est le même depuis toujours. […] Les gens ne se fatiguent jamais d'entendre parler... d'amour. » 8.12
C'est un peu ce qu'affirmait Sheila Davis: 85% des chansons les plus populaires parlent d'amour, sous toutes ses coutures. (8.13) L'amour passion, d'abord et avant tout, mais encore : l'amour fleur bleue et idéalisé, empreint de pensée magique, éternel, celui qui rime avec toujours. C'est sans compter celui qui fait mal, qui vient avec son lot de ruptures, de meurtrissures, de jalousie ou d'infidélités. De ces caractéristiques, Elvis Costello en a fait son fond de commerce. Idem pour Charles Aznavour qui a chanté le mal d'amour comme nul autre, ou Jacques Brel qui s'est spécialisé dans l'infidélité (de la femme).
Qu'il soit physique ou immatériel, spirituel ou mièvre, l'amour est le plus chanté des thèmes. Il ne sera jamais éculé. Chaque génération se l'appropriera. De près ou de loin, il y aura toujours de quoi à redire sur ce sujet, un nouvel angle à exploiter. Seule son expression évoluera.
Lisa LeBlanc, qui ne s'identifie pas à la ballade amoureuse mielleuse, chante la tendresse sous la forme d'un souper au Kraft Dinner, le genre de repas qu'on associe plutôt à un étudiant fauché qu'avec l'élu de son cœur.
Bernard Adamus quant à lui propose une couleur que l'on identifie pas, à prime abord, à l'amour quand il beugle [Bruuuun, la couleur de l'amour...] 8.14
Andréa Lindsay et Luc de la Rochellière prennent l'amour à contre-pied : [Le problème avec toi / c'est que tu m'es incurable / Le problème avec toi, c'est ça], (8.15) et chacun qui y va de son grain de sel, en alternance, pour en faire image. Toutefois, le problème avec cette ligne se trouve au niveau de sa sonorité : le choix des mots [tu m'es incurable] sonne comme [tu m'évacueras] aux premières écoutes, ce qui rend le choix du mot [incurable] discutable, sous cet angle.
Approches
Quelle direction prendra votre idée de chanson? Suivrez-vous un plan plus ou moins établi dans votre tête? Vous avez un point de départ, mais en ignorez l'aboutissement? Et si c'était l'histoire qui vous dictait son chemin en imposant sa propre logique? Quel revirement inattendu pourrait-il survenir, comme se le demandait Dédé Fortin? Quel genre de regard Linda Lemay jette-t-elle sur les gens qu'elle voit vivre? Emprunterez-vous l'ironie de Michel Rivard, le réalisme tendre de Sylvain Lelièvre ou l'optimisme d'un Gilles Valiquette? Par leur regard sur le quotidien ils éveillent en nous, à divers degrés, un sentiment d'identification et une réaction émotionnelle satisfaisante.
Leurs personnages sont de chair, d'os et d'émotions à fleur de peau, réels pour eux comme pour nous. Apposer un visage familier à un comportement que vous souhaitez dépeindre contribuera à rendre le propos plus tangible. S'adresser à des personnages comme s'ils étaient en votre présence est une autre façon de concrétiser l'émotion : « Parler à quelqu'un qui n'y est pas. C'est la façon la plus authentique d'écrire une chanson. » selon Dylan. 8.16
À la question: « Votre meilleur travail découle-t-il d'une réflexion consciente et active à propos de ce qu'une chanson devrait véhiculer? », Paul Simon répond : « Je suis plus intéressé par ce que je trouve, à l'opposé de ce que je sème. […] J'aime découvrir ce qu'il y a d'intéressant dans ce que je fais […] plutôt que de le planifier. » (8.17) Voilà une approche instinctive pour un auteur en démarche et en confiance.
Votre trait de génie parle-t-il à votre tête, à votre cœur, voire aux deux? Si il parle autant à l'un qu'à l'autre, vous êtes certainement sur une piste qui mérite d'être suivie. Peut-être ne souhaitez-vous pas réfléchir outre mesure et conserver une spontanéité dans l'écriture et l'exécution qui sonne tout simplement bien? C'est parfait. Mais chemin faisant vous aimerez pouvoir vous résumer en une phrase qui vous parle, pour qu'on vous comprenne bien.
Visez la simplicité, votre meilleure conseillère et guide en toute chose. La simplicité n'empêche en rien la sophistication, évidemment. La majorité des titres qui traversent les années ont en commun de faire vibrer une corde sensible, de toucher, de brasser des émotions, des souvenirs et des réminiscences liées à des moments heureux, ou pas. Elles sont des créations d'émotions, de plaisir et de beauté. L'essentiel est de mettre à contribution vos aptitudes d'observateur et de chroniqueur du quotidien.
Basez-vous sur les perceptions que vous ressentez et connaissez, qui émanent de vous et que vous pouvez soutenir. Visualisez des situations crédibles avec des gens identifiables dans des endroits concrets que vous connaissez, qui existent ou que vous visualisez dans votre esprit, si cela rend votre expérience plus réelle, et conservez votre attention sur le film qui se déroule sous vos yeux. Et suivez le guide.
8.12 - Paul Simon, Songwriters on songwriting, Paul Zollo, Da Capo, 2003, p. 117
8.13 - Sheila Davis, The Craft of Lyric Writing, Writer's Digest, p.4
8.14 - Brun (la couleur de l'amour), Bernard Adamus, Brun, Grosse Boîte, 2009
8.15 - Le problème avec toi, Andrea Lindsay et Luc De Larochellière, (L. De Larochellière) C'est d'l'amour ou c'est comme, GSI Musique, 2012
8.16 - Bob Dylan, Songwriters on songwriting, Paul Zollo, Da Capo, 2003, p. 79
8.17 - Paul Simon, Songwriters on songwriting, Paul Zollo, Da Capo, 2003, p. 95
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Soumis par Pierre le 28 février, 2018 - 15:30.
Pour étoffer la recherche de la démarche des Ingrédients de base, je me suis livré à un exercice d'analyse de centaines de chansons parues depuis les années 30, histoire d'en extirper une substantifique moelle en les passant au « Rayons X » de la grille d'analyse des ingrédients de base. En me penchant sur les ingrédients de ces chansons, il m'a été possible de relever ou de confirmer des évidences dans les thématiques, de l'usage que l'on fait des figures de style dans la création de titres, ou encore quelles sont les formes musicales les plus fréquentes, et qui contribuent à structurer le texte.
Au fil des mois et des années, j'ai relevé dans une base de données près de mille titres, tant francophones qu'anglophones qu'issus d'époques et de styles variés, choisis au hasard des écoutes tant dans ma propre discothèque que ceux entendus dans des lieux publics ou par internet. J'ai tenu à varier les styles et à piger tant dans le répertoire commercial que celui plus underground, et d'extirper des pièces « d'album », méconnues, qui sont souvent des perles au même titre que les succès.
Cette base de données est représentative des titres qui s'y trouvent, bien entendu, et ne prétend pas être exhaustive ou sans oublis. Comme j'ai tenu à ratisser large, la plupart des grands auteurs de chansons s'y trouvent, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'omissions involontaires, ou de chansons que je n'ai pas retenu comme exemple. Abordons cela avec ouverture d'esprit.
Les thèmes, aussi variés que la vie
De cette analyse, des thèmes émergent et s'imposent en reflétant la condition humaine, ce que Guy-Philippe Wells appelait si joliment « l’aventure humaine » et ses déclinaisons à l'infini : le bonheur, l'amour, la haine ou la nostalgie et ainsi de suite; le temps, au propre comme au figuré, les questions existentielles, les interrogations de toutes sortes, l'introspection; les lieux, et leurs connotations du passé ou du moment présent; Dieu; les animaux, le bestiaire; les objets, leur symbolisme ou comme prétexte; les éléments : l'air, l'eau, le feu et la terre; les couleurs, les nombres, la nature et l'écologie, les sens, etc.
Le genre humain, en soi, fourmille de thèmes : l'homme et la femme, la famille, les générations, l'enfance; les gens, la foule et le monde au sens large témoignent du rôle et de l'omniprésence de l'identification en chanson. Les portraits humains y sont nombreux, historiques ou fictifs; les prénoms et les pronoms pullulent, le statut social, les comportements et la profession jouent tous un rôle de définition des individus dépeints.
La parole, son expression, la voix, les mots, le « dire » se retrouvent maintes fois prétextes au propos d'une chanson. Les invitations et l'incitation à agir ressortent du lot; les expressions consacrées et populaires, les adages, les formules toutes faites (voire les clichés) témoignent de la spontanéité du médium, et de la nécessité de chanter à voix haute ce que nous pensons souvent tout bas. Voyons celles qui émergent davantage.
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Soumis par Pierre le 15 avril, 2018 - 17:51.
« Que c'est beau, c'est beau la vie » (8.18) clamait le rassurant Jean Ferrat sur son grand succès du même nom. En une formule empruntée au quotidien, il résumait ainsi un sentiment profond qui anime l'ensemble des êtres humains sur cette planète. Universelle et simplement énoncée, cette ligne optimiste va droit au coeur.
On chante la vie sous toutes ses coutures, c'est une évidence. On la raconte, on la narre, on l'évoque, on la parle. On l'inclut dans le titre, on l'invoque entre les lignes, on la raconte crûment. « C'est la vie » est une formule française fourre-tout universellement connue. Elle est aussi un des titres les plus communs, sinon surutilisés en chanson francophone.
Une rapide recherche sur internet résulte dans la vingtaine de textes différents portant tous ce même titre. De Cheb Khaled à Colette Renard en passant par Léo Ferré, Alain Barrière, Liane Foly ou Michel Fugain, tout le monde ou presque a son mot à dire à ce sujet. Même les anglophones ne se sont pas en reste, pour ne nommer qu'Emerson, Lake & Palmer ou Chuck Berry qui se l'ont approprié. C'est dire l'universalité de la formule devenue, avouons-le, cliché. Mais bon.
C'est ma vie ressort moitié moins souvent sur le net, mais a aussi droit à autant de traitements qu'il y a d'auteurs : une des version la mieux connue est certainement celle d'Adamo, dans laquelle on comprend qu'il a une discussion avec son public, en toute sagesse : [C'est ma vie (…) Je n'y peux rien, c'est elle qui m'a choisie (…) C'est pas l'enfer, c'est pas l'paradis]. (8.19) En parlant du cœur, et en usant d'un [tu] général, on perçoit chez l'auteur de grandes doses d'humilité et de lucidité face à un métier qui l'a choisi, et aussi parfois oublié.
In My Life est réputée être l'une des chansons charnières dans l'oeuvre des Beatles, alors que pour la première fois John Lennon cessait d'écrire des histoires d'amour pour fillettes pâmées, et s'ouvrait sur des souvenirs plus personnels. Got to get you into my life, ainsi que A Day in the Life sont les seules autres pièces des Beatles faisant usage du mot life dans le titre. La belle vie / The Good Life, La vie en rose, Ode à la vie, Aimes-tu la vie comme moi, Life's what you make it, (8.20) sont autant d'états d'âme qui font le tour d'une certaine perception du sujet.
Parce que la vie a aussi son revers, parfois. La vie est laide, elle est louche, La vie tue, ou encore elle mène à une Double vie, a double life. (8.21) Someone saved my life tonight racontait un épisode tragi-comique de la vie d'avant vedettariat d'Elton John.
Au tournant des années soixante-dix, le groupe rock canadien The Guess Who lançaient Hang on to your life, un « accroche-toi à la vie » bien senti en guise de conseil d'ami, suivant la perte de plusieurs rock stars qui venaient de passer de vie à trépas, les Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et autres Brian Jones.
8.18 - C'est beau la vie, Jean Ferrat (Claude Delecluse, Michelle Senlis, Jean Ferrat) 1963
8.19 - C'est ma vie, Salvatore Adamo, 1975
8.20 - Dans l'ordre : Sacha Distel, Edith Piaf, Alain Bashung, Boule Noire, Talk Talk.
8.21 - Jean Leloup, Léo Ferré, M, Richard Séguin / The Cars
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Soumis par Pierre le 25 novembre, 2019 - 18:56.
La manière de vivre
Life and how to live it, de R.E.M., se trouve à être un curieux titre, tout à fait dans la tradition du groupe. Il a été emprunté à un dénommé Brivs Mekis, citoyen d'origine russe d'Athens, Georgia, ville natale du groupe. Un brin excentrique à tendance ermite, Mekis avait fait construire un mur à l'intérieur de sa maison, la scindant en deux, donnant deux appartements distincts. Quand l'ennui s'installait dans la maison A, une porte lui permettait de traverser et de vivre dans la B.
À son décès, on y trouva dans un placard l'entièreté d'un tirage de centaines d'exemplaires d'un manifeste (revanchard et sexiste paraîtrait-il) qu'il avait publié et ayant pour titre... Life and how to live it.
L'intérêt de ce morceau uptempo vient de l'album Fables of the reconstruction (pouvant aussi se lire Reconstruction of the fables) abordant le thème plus général de la transmission de légendes urbaines, d'histoires tirées par les cheveux déformées par la rumeur populaire et le bouche-à-oreille. La rythmique des lignes prennent la forme d'alexandrins et sont essentiellement des monosyllabes déposées sur une scansion ïambique [ta-DA].
L'écriture est dense et demande quelques clés pour la décoder, d'où l'intérêt de connaître l'anecdote de départ. À noter aussi sa structure atypique empruntant autant à la forme couplet/refrain (CR) pour la montée mélodique au refrain, qu'à la forme ABAB, qui consiste en deux blocs de 16 mesures qui s'imbriquent de manière complémentaire l'un dans l'autre, et peuvent se répéter autant de fois que nécessaire.
En plus, le groupe ajoute une troisième partie de 16 mesures, un pont par [The hills ringing hear the words in time], et qui se conclura par le titre, un placement surprenant s'il en est un. Celui-ci trouverait mieux sa place musicalement dans la partie B avec la ligne [My carpenter's out and running about and talking to the street], mais il n'y a pas de titre dans cette ligne.
[Qu'est-ce que ça peut ben faire que je mène ma vie toute à l'envers?] revendiquait, frondeur, Jean-Pierre Ferland comme façon de vivre dans une de ses pièces les plus anticonformistes. Au diable tout le reste et le jugement d'autrui, Ferland se vide le coeur et réclame le droit de vivre sa vie comme il l'entend, pour le meilleur et le pire. Un je-m'en foutisme existentiel énoncé clairement.
To be or not to be la vie, sur un texte de Gilles Carle, évoque une double disparition, soit celle de la langue française qui, par la bouche de Chloé Ste-Marie, résulte en [Je m'anglicise lentement / Lentement je m'anglifie]. Le combat identitaire du fait français au Québec ne date pas d'hier. L'autre disparition évoquée est celle de l'auteur, alors aux prises avec le Parkinson.
Besoin de vivre
L'expression d'un besoin, pour survivre, remonte à l'aube de l'humanité et fait probablement partie de nos mécanismes de survie pour la race. Le thème du besoin est évoqué à toutes les sauces depuis si longtemps. Claude Dubois l'annonce on ne peut plus clairement quand il déclare avoir [besoin pour vivre sur terre de soleil et de pluie / de légumes et de fruits], pour ensuite se lancer dans une énumération de buts et d'objectifs humanistes personnels et universels, vers un idéal de vie où les besoins de tous se trouveront comblés.
À l'opposé, il y a ce Besoin de personne de Véronique Sanson, se trouvant à être une limpide revendication d'autonomie et de liberté personnelle et amoureuse, une façon de s'assumer [pour choisir le chemin de [s]a vie].
Le besoin de l'autre est tout aussi présent en anglais : I need you est ultra commun comme titre; ne suffit que de nommer les variations sur ce même titre par les Beatles, Who, America, ou autres need you now; need you tonight; need your love; when I need you; all I need is you, etc. Sur le seul site Songfacts.com, 50 titres sont proposés suite à la recherche des mots-clés « need you ».
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Soumis par Pierre le 25 novembre, 2019 - 22:25.
Pour les jusqu'au-boutistes, vivre intensément devient la seule façon d'être, en toute liberté de conscience, de mouvement et de parole. Cela implique la dignité de vivre debout, de voir grand et de poursuivre la quête de l'impossible rêve. On est né pour être libre, incapable de tenir en place, il faut fuir, se pousser et, plus souvent qu'autrement, prendre la route.
Avec la naissance vient une mission : né pour vivre, bouger et déguerpir : Born to be alive, Born to move, Born to run, Born to be wild. La route devient le chemin usuel à prendre, peu importe la langue, pour le meilleur ou le pire: Sur la route, Sur la route 11, Life is a highway, Miles from nowhere. Elle entraîne dans son sillage les connotations usuelles de fuite et de liberté pour y vivre les frissons promis de la Route 66 et parfois même aboutir à la Terre promise.
La fureur de vivre exude des Illégal, Lust for Life ou Tiens-toé ben j'arrive. Poussé à la limite, cette vie devient traînée de poudre: Life in the fast lane dépeint un homme « brutalement beau » et une femme « mortellement belle » vivant à fond la caisse et en pleine dérape. Ils abusent de substances, excellent au lit, accumulent les mauvaises décisions et récoltent un grand vide existentiel. À l'évidence, l'histoire mise en scène ne fait pas l'apologie de ce style de vie, pas plus que Bruce Springsteen ne chantait la fierté d'être Américain dans Born in the USA.
La soif de vivre ne vient pas sans sa dose de pathos : les tribulations et les états d'âmes intenses sont au rendez-vous pour toutes sortes de situations : [Je comptais vivre fort / et que le diable m'emporte] avançait Stephan Eicher dans Des hauts des bas : La gourmandise de vivre le rattrapera : [Je crois que j'en voulais trop / J'ai même eu ce que je ne voulais pas (...)].
[Le cours ordinaire des choses me va / comme un incendie] ironisait Jean-Louis Murat d'un humour de pyromane dans Comme un incendie, y allant d'une fine formule alliant un oxymoron comparatif à une antithèse pour mettre le feu à l'énoncé. Le contraste procure un effet de surprise en comparant deux éléments au premier abord disparates.
Avec une idée très simple mais profonde, Life's what you make it creuse un seul sillon tout au long du morceau : la vie sera ce que tu en feras, accepte-la, ne la boude pas, célèbre-la. Une seule idée renforcée constamment et qui devient une puissante affirmation dédié à l'amour et à la beauté de la vie.
Dans l'esprit de La quête pour le dépassement de soi et l'atteinte des plus hauts sommets, The Big Music des Écossais The Waterboys brûle d'une incandescence rare et fait appel à l'exaltation spirituelle des hautes sphères pour s'unir à l'univers : [I have heard the big music / and I'll never be the same / Something so pure just called my name] scande avec ferveur Mike Scott, se voyant gravir une immense montagne, en quête d'illumination après avoir entendu la "Grande musique".
À l'opposé, Vivre pour vivre s'avère une réplique sobre à toute cette intensité. Titre d'un film de Claude Lelouch, le texte de la chanson du même nom laisse filtrer un constat doux-amer avec les choix amoureux auxquels la vie peut nous soumettre, et qui implique d'exercer un certain détachement face à elle. Fait à noter, la formulation « Vivre pour » ressort pas moins de 8 fois sur Paroles.net : Vivre pour : l'amour, le meilleur, pour soi, pour toi, notamment.
Un film – mais d'abord un roman – de la série des James Bond prend un malin plaisir à reformuler à contrepied l'adage "Vivre et laisser vivre" sous la forme de Live and let die, habile clin d'oeil tout à fait dans le ton 007. On doit ce détournement de sens à son créateur et auteur Ian Fleming. Ce genre de revirement est une façon de créer la surprise et de faire du neuf avec du vieux. La chanson-thème du film, signée Paul McCartney & Wings, fut réalisée en l'espace d'environ deux semaines lorsqu'il fut déterminé que la tâche lui était incombé.
McCartney confia au magazine Mojo en octobre 2010 (à lire sur Songfacts.com) ce qui suivit sa lecture du roman, la veille : « On the Sunday, I sat down and thought, OK, the hardest thing to do here is to work in that title. » Le défi était d'insérer, d'intégrer en premier lieu le titre dans le morceau, pour adopter ensuite l'angle qui lui semblait le plus évident : « So I came at it from the very obvious angle. I just thought, 'When you were younger you used to say that, but now you say this.' » Plus jeune tu disais ceci, et maintenant que tu as vieilli, tu dis cela.
Raisonnement concluant : Live and let die fut #2 sur le palmarès Billboard trois semaines d'affilées à l'été 1973, avec un #1 différent le devançant à chaque semaine. Elle fait toujours partie de ses spectacles.
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Soumis par Pierre le 9 janvier, 2020 - 21:32.
La chanson dite « à message » est un art en soi. Elle peut hurler un immense ras le bol (à la Aujourd'hui ma vie c'est de la marde), comme exposer une réflexion plus posée ou philosophique. Les meilleures chansons dans le genre prennent souvent la forme du commentaire social, sans forcément avoir pour but premier de dénoncer coûte que coûte. L'ironie parfois grinçante, le clin d'oeil ou le propos philosophique sont habituellement au rendez-vous.
Avec Blowing in the wind, Bob Dylan a contribué à renouveler la chanson dite « à message », ou « engagée », au tournant des sixties. Blowing. in the wind est avant tout une chanson posant des questions existentielles et philosophiques fondamentales, certes, mais qui ne prend position pour aucune « cause » précise. La chanson demeure une œuvre de divertissement avant tout.
Même Dylan, le champion toute catégorie dans ce style et dont la carrière a démarré en trombes grâce à son protest-folk porteur de sens, n'a pas voulu écrire éternellement des chansons « à message ». Il s'est vite senti coincé dans ce créneau et s'en est éloigné le plus rapidement possible dès l'électrification de son style au milieu des années soixante.
Les connotations émises dans ce genre chansonnier (comme pour tout autre genre) peuvent être volontairement ambigües, comme dans Revolution 1 où John Lennon y lance une contradiction à la fin de: [But when you talk about destruction / Don't you know that you can count me out (in)]. Ou encore elles sont interprétées indépendamment du désir de l'auteur par le public: un exemple extrême étant lorsque Happy de Pharell WIlliams fut dénaturée par les autorités religieuses iraniennes comme étant une chanson subversive, par exemple.
If I had a rocket-launcher du canadien Bruce Cockburn est un texte ouvertement politique et dénonciateur, assumé par un auteur dont la conscience sociale aiguisée fait partie de son identité artistique. Le propos est délimité par la vision nette d'un conflit guerrier et un refrain concret; Cockburn parle de frontières, de généraux, de torture d'état et laisse parler sa colère : [Si j'avais un lance-roquettes / Je répliquerais] pour aller jusqu'à un culminant [Si j'avais un lance-roquettes / Un enfant de chienne mourrait]. Rocket launcher est une chanson d'opinion fondée sur des faits observables, et l'auteur réagit à ceux-ci.
Beaucoup de lucidité aussi dans Les bombes, brûlot incendiaire signé Michel Pagliaro. Encore là, l'auteur s'en tient à des constats observables. Face aux énumérations des enjeux guerriers mondiaux des couplets, Pagliaro applique la technique "et c'est pourquoi je dis..." pour dégoupiller un refrain "explosif": [Nous on fabrique des bombes / de plus en plus en plus de bombes...]. Le texte est toujours d'actualité, à quelques détails près.
Idem pour Fatigué de Renaud, crée dans la même décennie que les précédentes. L'auteur y lance un puissant cri du cœur et d'écoeurement face au traitement de l'environnement par l'humain : [Au cœur de cette terre que j'aime tellement / Et que ce putain d'homme chaque jour assassine]. Sur huit couplets et une trentaine d'alexandrins, Renaud n'omet rien et dresse une liste élaborée de ses griefs envers le genre humain.
Encore ici, l'auteur demeure dans le concret des choses afin de conserver notre intérêt. Y eût-il été d'une tirade moins structurée en ruminant des idées noires ou des frustrations personnelles, il n'est pas certain que ce texte aurait été aussi pertinent et poignant.
L'Amérique pleure, la plus récente chanson "à message" des Cowboys fringants constate, par l'oeil d'un camionneur, une tristesse et un mal de vivre à la grandeur du continent, d'où la métonymie de "l'Amérique". À coups de regards lucides dans le rétroviseur, le groupe souligne le désabusement d'une population face à une qualité de vie et un tissu social qui s'effritent, de la Floride à Monmagny.
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Soumis par Pierre le 19 janvier, 2020 - 21:58.
« Je voudrais être utile, à vivre et à rêver » proposait, humblement, Julien Clerc dans Utile, de l'album du même nom. La chanson engagée gagne à s'inspirer de cette modestie, selon moi. Un excès de prosélytisme, même pour une bonne cause, peut se mettre dans le chemin d'une bonne intention.
Personne n'aime se faire faire la morale, encore moins dans le divertissement. Un propos accusateur bardé de jugements de valeur discutables, un vocabulaire mal maîtrisé, un discours négatif ou haineux peuvent rebuter ou simplement rater leur cible. Un texte immature ou bancal peut demander une sérieuse réécriture pour être réchappé, ou être tout simplement abandonné. Le recul demeure votre allié face à ce genre de situation.
Un minimum de recherche peut contribuer à raffiner une approche, afin d'établir des balises dans le style ou le ton pour livrer un propos apte à être bien reçu d'autrui. Vous écrivez pour être compris des autres. Parler au « je » est l'approche idéale pour assumer son propos et laisser la porte ouverte à l'identification. Enfin, mieux vaut proposer qu'imposer, à mon avis.
La chanson n'est pas une thérapie
De grandes chansons sont venues au monde grâce à une douleur immense. Je pense à Tears in Heaven d'Eric Clapton, créee à la suite du décès de son fils de 4 ans, Conor, d'une chute dramatique d'un immeuble de 53 étages en 1991. Clapton a voulu inclure la chanson pour un film sur lequel il s'était engagé à produire un titre en compagnie de Will Jennings, et qui racontait à Songfacts que Clapton avait déjà le premier couplet, mais qu'il souhaitait que Jennings rédige le reste du morceau.
Celui-ci n'était pas à l'aise, jugeant le sujet trop délicat, mais à l'insistance de Clapton il se plia à sa demande. « Cette chanson est si personnelle et si triste qu'elle est unique dans mon expérience chansonnière ». Bien sûr, les grandes douleurs doivent sortir; ne dit-on pas que l'écriture est en soi une sorte de thérapie?
Sauf que... « La chanson, c'est pas une thérapie! », a déjà balancé une professionnelle de la chanson à une auteure-en-herbe décontenancée dans un atelier d'écriture en chanson (autre que le mien). Je tiens l'anecdote de première main. L'écriture est thérapeutique, oui. Cela peut toutefois demander doigté et clairvoyance pour en faire une chanson.
Peut-on parler de tout n'importe comment, et ce même à notre époque extravertie? Je ne suis pas certain, sauf confidentiellement, bien sûr. Il y a aura toujours le piétage, le ton, le style, l'imagerie, les rimes, le son des mots à peaufiner. Sans parler du sujet, qui pourrait aussi avoir de la difficulté à trouver preneur.
Let him dangle
La parolière Martine Pratte me confiait déjà qu'elle avait dans ses tiroirs un texte portant sur la peine de mort. Elle regrettait qu'à ce jour aucun interprète n'en veuille, y compris un auteur-compositeur-interprète québécois qu'on associe spontanément à ce genre de prise de position, disait-elle.
Une rare chanson sur ce sujet est Let him dangle (« Laissez-le pendre ») d'Elvis Costello, un morceau chavirant à partir d'une histoire vraie. Les couplets rapportent les faits autour du meurtre du policier Sidney Miles par Derek Bentley et son comparse Chris Craig, et qui a secoué l'opinion publique en Angleterre dans les années cinquante. Craig était mineur au moment du crime, et donc pas en âge de payer pour le meurtre de Sidney Miles.
En bref, Bentley aurait exercé une influence sur Craig dans l'exécution du crime par une directive ambigüe, tel que relaté par Costello en amorce : [Bentley said to Craig, "Let him have it, Chris" / They still don't know today just what he meant by this]. Derek Bentley, déficient intellectuel léger de 19 ans, passa à la potence.
Le refrain hargneux [Let him dangle...] et son insouciante turlute représente le point de vue de l'opinion publique, comme une meute indifférente à tout hormis sa soif de vengeance. La livraison de Costello dans le clip ci-dessous est sidérante. Il en fait une vraie question de vie et de mort.
Pas vraiment le genre de titre qui va supplanter Yesterday au titre des chansons les plus reprises, pour dire le moins et tout méritoire qu'il soit. L'oeuvre cherche néanmoins à se rendre utile en prenant position envers un enjeu de société fondamental.
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Soumis par Pierre le 29 janvier, 2020 - 19:36.
Les thèmes qui émergent de cette recherche reflètent la condition humaine à l'infini, de sa nature profonde, de son désir de communiquer, de combler un besoin vital, de lancer un appel à l'aide, de célébrer, d'invoquer Dieu et ventiler ses états d'âme et sa vie intérieure. On se relève après avoir été envoyé au tapis par la vie, on revendique soi et sa liberté. On raconte le temps qui passe, on évoque le passé et sa nostalgie inéluctable; ou encore il faut vivre l'instant présent intensément, ici et maintenant, à la « On veut le monde et on le veut tout de suite! !
Mais encore : on veut partager ses aventures et mésaventures, raconter le quotidien, chanter l'errance, le voyage et la fuite, ainsi que les moyens de transport par lesquels le faire. On veut aller au bout de ses sens et de ses perceptions, implorer le Soleil, la Lune et les astres. Parler des humains par le Bestiaire, les objets, les éléments, les lieux, la mort, la danse, et ainsi de suite... Tout ça, et j'en passe, c'est la vie en chansons.
Ces thématiques font mouche lorsqu'elles sont ramenées à une phrase-clé qui veut tout dire et comporte une certaine vérité humaine. Si la phrase-clé - la ligne de force - a le bonheur d'être communicative et d'avoir la puissance du slogan, de faire image et de bien sonner, les chances sont fortes pour que celle-ci en devienne, tout naturellement, le titre.
J'en veux pour exemple :
Don't worry, be happy – Bobby McFerrin
Elle s'appelait Concepcion / et avait besoin d'affection – Robert Charlebois
Hier encore, j'avais vingt ans – Charles Aznavour
Oh Lord please don't let me be misunderstood – The Animals, Santa Esmeralda, Elvis Costello etc. Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé – Félix Leclerc
Peut-être que demain ça ira mieux / mais aujourd'hui ma vie c'est d'la marde – Lisa LeBlanc Qu'est-ce que ça peut ben faire que je vive ma vie tout à l'envers – Jean-Pierre Ferland, Eric Lapointe
Sex and drugs and rock 'n roll is all my brain and body needs – Ian Dury & The Blockheads
Sweet dreams are made of this / who am I to disagree? - The Eurythmics
Tassez-vous de d'là y faut que j'voye mon chum – Les Colocs
We could be heroes just for one day – David Bowie
Yesterday, all my troubles seemed so far away – The Beatles
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